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Au jour le jour
4 décembre 2020

Les éditos du Figaro

 

lefigaro

 

Edito du 7 juin 2021

« Indispensable » [Gaëtan de Capèle]

Le nuage de chloroforme qui enveloppe l'économie française depuis plus d'un an a eu le grand mérite de nous aider à traverser la douloureuse épreuve du Covid sans drame majeur. Mais une bonne anesthésie n'a jamais guéri personne : à mesure que ses effets se dissipent, nos faiblesses réapparaissent au grand jour. Le gouffre des comptes publics, gonflé à l'hélium du « quoi qu'il en coûte », n'est pas la moindre d'entre elles. Dans cet océan de déficits, revient comme un boomerang le casse-tête du financement de notre système de retraites qui, structurellement déficitaire, court à la catastrophe.

Emmanuel Macron osera-t-il remettre l'ouvrage sur le métier après la grande épreuve de 2020, brutalement interrompue par le virus ? Les grands stratèges politiques nous expliquent que ce serait folie à moins d'un an d'une élection présidentielle. Les syndicats considèrent qu'il serait indigne de brutaliser les Français après ce qu'ils viennent de vivre et – il ne manquerait plus que cela ! - menacent déjà de mettre le pays à l'arrêt. La réalité est que nous n'avons pas le choix : indispensable avant la pandémie, la réforme des retraites l'est tout autant après si l'on veut les préserver. N'en déplaise à toutes les autruches qui refusent de regarder les choses en face, la France, où l'on travaille moins longtemps qu'ailleurs, n'échappera pas par miracle à la logique implacable de la démographie (nous comptons de moins en moins d'actifs pour payer de plus en plus de retraites). Tous les autres pays du monde l'ont acceptée, nous devrons bien tôt ou tard nous y résoudre.

Le chef de l'État a lucidement décidé d'abandonner son projet de refonte complète du système, si complexe que même ses ministres ne parvenaient à l'expliquer. Il n'est pas dit qu'il soit beaucoup plus habile, comme on le pressent, d'échafauder une nouvelle usine à gaz mêlant retraites, dépendance et allocation jeunesse. Relever l'âge de départ, comme tous les rapports le recommandent, aurait le mérite de la simplicité et de l'efficacité


 

Edito du 2 juin 2021

« Ecologie punitive » [Gaëtan de Capèle]

La joie du déconfinement aura été de courte durée. Assignés à domicile, privés des plaisirs simples de la vie, nous nous réjouissions de retrouver le plus élémentaire d'entre eux, celui d'aller et venir sans contraintes. C'était compter sans les derniers oukases de l'écologie punitive. Depuis hier et selon un calendrier resserré de deux ans, tous les propriétaires de voitures diesels, y compris les modèles dernier cri que l'on jurait climato-compatibles, découvrent, éberlués, qu'ils n'auront plus l'autorisation d'accéder au centre des villes. Un système de radar ultra-sophistiqué est, paraît-il, en cours d'élaboration pour punir les contrevenants. Qui a dit que la France manquait d'expertise technologique ?

On croyait la macronie marquée au fer rouge par les «gilets jaunes». Après l'expérience des taxes sur les carburants et des 80 km/h, nul n'imaginait concevable d'empoisonner une nouvelle fois la vie des automobilistes. Ces millions de Français qui se déplacent chaque jour, non pour polluer, mais parce que, pour des raisons professionnelles ou familiales, ils n'ont pas le choix. Au nom de la défense de l'environnement, on les avait convaincus de rouler au diesel. Pour la même cause, on les somme désormais de mettre leur voiture au rebut. Parions qu'un jour, découvrant que la fabrication de batteries souille autant la planète que le gasoil, on leur intimera l'ordre de se débarrasser de leur nouveau modèle.

Entre-temps, la conversion forcée, en un temps record, du marché automobile au tout-électrique aura laissé des plaies profondes au sein d'une filière qui emploie des dizaines de milliers de salariés. Les mêmes apprentis sorciers qui imposent aux constructeurs automobiles de bannir quasiment du jour au lendemain les moteurs thermiques, s'indigneront des faillites en série et des licenciements massifs chez les sous-traitants.

Homme de bon sens, le PDG de Total fait remarquer que l'expression «transition écologique» contient le mot «transition». L'ignorer expose à de dangereux retours de flamme.


 

Edito du 15 mai 2021

« Ultragauche la manipulation » [Yves Thréard]

Des millions d’Algériens manifestent, depuis deux ans, dans leur pays à leurs risques et périls pour réclamer la démocratie, mais on n’a pas vu l’ultragauche française lever le petit doigt en leur faveur. Du Mozambique au Mali, des centaines de civils africains sont tués tous les ans par la terreur islamiste, mais Jean-Luc Mélenchon et ses amis n’ont jamais volé à leur secours. En revanche, lorsque la tension monte entre Israéliens et Palestiniens, tous sont là au rendez-vous de la rue française ; pour dénoncer l’«oppression» des seconds, évidemment.

 C’est dire si leur colère est à géométrie variable, plus politique qu’humanitaire, moins sincère que théâtrale. Elle dégage les relents mauvais d’un amalgame qui consiste à se servir de la cause palestinienne pour tenter de soulever les musulmans de France, la nouvelle chair à militantisme des Insoumis et compagnie. La manipulation est aussi caricaturale que détestable.

Le gouvernement a eu raison d’interdire la manifestation de samedi. Celle-ci n’aurait été que le prétexte à un déchaînement de haine contre la France, Israël, l’Occident judéo-chrétien et forcément impérialiste. Car telle est cette gauche niqab, islamo-populiste, qui porte la défense de la diversité et de la liberté d’expression en sautoir, mais qui défile en soutien du Hamas, mouvement terroriste soutenu par les Frères musulmans. Le délit d’opinion n’existe certes pas sur les rives de la Seine, et c’est heureux, mais doit-on, pour autant, accepter l’apologie de la violence, d’une idéologie obscurantiste et d’un antisémitisme ripoliné aux couleurs de l’antisionisme?

Le précédent du 19 juillet 2014 à Paris, quand l’est de la capitale avait été mis à sac par quelques milliers d’individus, ne doit pas se reproduire. Cette manifestation pro-Hamas avait pourtant, elle aussi, été interdite. Au gouvernement, cette fois, de faire respecter l’ordre républicain. Au nom de tous les Français qui, quelle que soit leur confession, ne veulent pas vivre sous la tyrannie d’une minorité d’activistes.


 

Edito du 12 mai 2021

«Macron et les régionales: «Grosses ficelles et petits scores» [Vincent Trémollet de Villers]

Gribouille s'est pris pour Mitterrand. Les stratèges de l'Élysée ont confondu fil de soie et grosse ficelle. L'accord oblique entre La République en Marche et Renaud Muselier devait fracturer la droite, poursuivre selon le mot du premier ministre «la recomposition» des clivages politiques et dresser une digue infranchissable contre le parti de Marine Le Pen. Bilan : la digue de sable n'empêche pas le candidat du RN de faire la course en tête, la République en marche erre comme un canard sans tête, la droite voit s'éloigner une région dans laquelle elle est largement majoritaire. Le sud devait être le laboratoire d'une fusion victorieuse entre le parti du président et Les Républicains. Notre sondage montre que cette alchimie change, comme c'était prévisible, l'or en plomb.

Nos boussoles indiquent le Sud ? Qu'importe ! Envoyons Éric Dupond-Moretti dans le Nord continuent nos demi-habiles. Le garde des Sceaux n'a aucune chance de l'emporter, la France entière s'interroge sur la sévérité de la Justice, mais «Acquitator» pourrait nuire à Xavier Bertrand. Colossale finesse !

Et pourtant ! La France, l'Europe même (une passionnante étude de la Fondapol vient de le montrer) sont le théâtre d'un mouvement profond, historique peut-être, qui atrophie fortement la gauche et montre de puissants courants de droitisation. Plutôt que de lorgner vers le parti lilliputien d'Emmanuel Macron (occupé aujourd'hui à se déchirer sur le voile islamique d'une de ses candidates), d'abandonner à Marine Le Pen la substance de sa doctrine (autorité, liberté, prospérité, civilisation), elle devrait hisser la grand-voile et profiter du vent qui souffle. Souhaitons que ces dix jours navrants permettent le réveil d'une conscience politique de droite. Ce que veulent les Français, c'est la constance, la clairvoyance , le courage, cette chose bizarre que l'on appelle conviction. Plus que la prolongation macroniste, que l'inconnu lepéniste, c'est cela qu'ils attendent. Rendez-vous est pris.


 

 

Edito du 25 avril 2021

 

« Immigration, l'heure des conséquences» [Vincent Trémollet de Villers]

C’est une vérité sommaire, brutale, révoltante: si Jamel G. avait été expulsé du territoire national entre 2009 et 2019, Stéphanie aurait passé le week-end avec ses enfants. Le reste - larmes officielles, coups de menton, projet de loi - n’est que du mauvais théâtre. Que ceux qui se contemplent dans ce qu’ils appellent pompeusement l’État de droit méditent, après ce nouveau drame, devant l’affaissement de l’institution dont ils ont la charge. Si, tout le monde en convient, le risque d’attaque islamiste est permanent, il ne s’agit pas d’une menace sismologique contre laquelle la force publique ne peut rien. Attaque au hachoir devant les locaux de Charlie, décapitation de Samuel Paty, attentat dans la basilique de Nice, et maintenant la lame du djihad dans un commissariat: à chaque fois, le tueur s’était joué de nos frontières poreuses, d’une politique de l’asile dévoyée.

Depuis des décennies, nos cours suprêmes renforcent les droits fondamentaux des étrangers: facilité pour les visas, largesse du droit d’asile, nombre d’expulsions dérisoire, naturalisations complaisantes. L’immigration, forte d’un pouvoir moral quasi religieux, bénéficie (le constitutionnaliste Jean-Éric Schoettl l’a brillamment montré) d’une incroyable immunité juridique.

Le principe de précaution invoqué en toutes circonstances, de prudence sanitaire extrême en délit d’écocide, disparaît en matière migratoire. La frontière aux 10 kilomètres, mais pas aux confins du pays. Ou, plutôt, la précaution est inverse: l’application de la loi apparaît comme une brutalité d’un autre âge, l’évocation même d’une prudence sur le sujet comme l’expression d’un reniement de la conscience. Quand Frontex se décide timidement à jouer son rôle de douanier, la commissaire européenne Ylva Johansson s’émeut et demande que la dotation de l’agence soit réduite. Idées généreuses, conséquences tragiques. Notre pays ouvert à tous les vents est désormais traversé de mille microfrontières aussi fragiles que le sas d’un commissariat d’une paisible commune des Yvelines.


 

Edito du 13 avril 2021

«La démocratie quand même » [Yves Thréard]

Inquiet de l'érosion des libertés dans certains pays d'Europe centrale, Emmanuel Macron n'a jamais de mots assez durs pour dénoncer les « démocraties illibérales ». Comparaison n'est pas raison, mais il aurait été honteux que la France continue à donner des leçons de morale et de bonne politique à ses voisins en piétinant, chez elle, l'un des piliers fondamentaux de la démocratie, à savoir une ­élection.

Depuis un an, sa population se plie, sans trop broncher, à tous les ordres du pouvoir, même les moins rationnels. Comme si l'état d'urgence sanitaire, plusieurs fois reconduit, justifiait toutes les privations, autorisait tous les diktats. Il était maintenant question de reporter la tenue des élections régionales et départementales, déjà décalée de mars à juin. L'entourloupe était grossière. L'idée a effleuré l'Élysée. Heureusement, il n'en est rien. La démocratie a le dernier mot. Quand même !

Aucun motif impérieux ne pouvait expliquer pareille décision. S'il était possible de reprendre le chemin de l'école fin avril et des cafés et restaurants mi-mai, l'ouverture des bureaux de vote les 13 et 20 juin semblait aller de soi. Quitte à installer, comme l'ont fait les Pays-Bas récemment, des isoloirs à l'extérieur. Repousser l'opération à l'automne ne pouvait être que suspect. Cette fébrilité trahissait la peur d'une déroute électorale de la majorité présidentielle bien davantage que la crainte d'une propagation virale exceptionnelle le jour du vote. Que François Bayrou et Richard Ferrand se rassurent, quelles qu'en soient les dates, ces élections ne s'annoncent, de toute façon, guère flatteuses pour leurs candidats.

Le débat, avec vote, organisé à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, n'y changera pas grand-chose, cet épisode laissera une mauvaise impression. Le nouveau monde promis par Emmanuel Macron a toujours la tentation d'user des vieilles ficelles de l'ancien. « Sachons sortir des sentiers battus, des idéologies, et sachons nous réinventer, moi le premier », disait le chef de l'État en avril 2020. Il y a urgence, en effet…


Edito du 8 avril 2021

«L’ENA, bouc émissaire» [Vincent Trémollet de Villers]

Emmanuel Macron, une fois encore, affirme vouloir briser le moule qui l’a façonné, lui, son cabinet et une grande partie de son gouvernement. Puisque tout marche de travers, supprimons l’ENA! La proposition avait été faite quand la crise des «gilets jaunes» n’en finissait pas de finir ; elle refait surface au milieu du troisième confinement de l’interminable crise du Covid. L’ENA, certes, a bien des défauts - pensée univoque, primat de la mécanique intellectuelle sur la force du caractère -, mais effacer ces trois lettres pour les remplacer par ISP (Institut du service public) n’abolira en rien la dérive bureaucratique.

Quand les Français critiquent l’ENA, le politique montre la haute administration, mais l’opinion, elle, regarde les élus ou les gouvernants. Les seuls énarques qu’elle connaît sont ceux qu’elle voit sur la scène du pouvoir. Soit une infime minorité des anciens élèves de cette école. Ce qui alimente la défiance, c’est que ces figures politiques peuvent passer une vie à courir de mandats en élections avec l’assurance, en cas de défaite sévère, de retrouver bureau, fauteuil, traitement. Comme s’il existait une théorie des deux corps du haut fonctionnaire: le premier, vulnérable, exposé à la vie publique ; le second, immunisé: le corps d’origine. Quel crédit donner ensuite aux discours prônant le «risque», la «flexibilité», l’«adaptation», quand ils viennent d’un orateur qui ne risque ni la faillite ni le chômage?

La France, plus que jamais, a besoin d’une élite, une élite choisie sur le mérite. Le concours d’une grande école n’en est pas l’unique expression, mais, pour l’exercice de l’État, il sera toujours préférable aux propositions alternatives: à droite, confier la chose au Big Four du conseil en stratégie ; à gauche, promouvoir les parcours militants et associatifs. Dévaluer ce concours, faciliter les voies d’accès au nom d’impératifs diversitaires, renforcerait le mal que l’on veut combattre. La discrimination se ferait plus sourde mais plus cruelle. L’ENA n’est pas la matrice du mal français. Croire qu’effacer ces trois lettres apaisera l’impatience populaire est une illusion d’énarque.


 

Edito du 30 mars 2021

« Tragique illusion » [Yves Thréard]

Kafkaïen. Le mot revient souvent pour dénoncer le fonctionnement de la machine politico-administrative française face au coronavirus. Une technostructure impotente, ankylosée, impuissante que les Français ont découverte, stupéfaits. On leur répétait que leur système de santé était parmi les meilleurs au monde. Masques, dépistages, équipements de réanimation, vaccination : à chaque étape décisive, pourtant, le mammouth s'est mordu la queue. En 1974, le roman de René-Victor Pilhes L'Imprécateur racontait comment un grain de sable avait entraîné la chute de la plus grande multinationale dirigée par les têtes les mieux formées. La satire pourrait être transposée à notre époque. La vanité, l'arrogance, l'autosatisfaction sont les mêmes et, malheureusement, le résultat aussi. Le fameux modèle français était une illusion.

Confiner ou ne pas confiner ? La question n'est pas là. Ce n'est pas sur ce terrain qu'un mea culpa du président de la République ­serait le bienvenu, mais bien davantage sur les causes de l'exercice d'équilibriste qu'il s'inflige. Dans l'inextricable chaîne de commandement de notre bureaucratie, tout ordre est susceptible de contre-ordre, toute décision avance à la vitesse de l'escargot, tout bon sens est corrigé par un calcul sur tableau Excel, tout retard est justifié par un flot de paroles qui fleurent bon l'imprévoyance ou le mensonge. L'affaire des masques, celle des lits de réanimation resteront gravées à jamais dans les mémoires. Et ce maquis organisationnel est soigneusement entretenu pour que les responsabilités soient cachées sous le tapis, noyées dans le millefeuille des agences spécialisées et des réunions interministérielles.

Tous les pays, centralisés comme le nôtre ou décentralisés comme l'Allemagne, traversent la tempête cahin-caha. Maigre consolation. Le virus est certes imprévisible, mais la France, si fière de ses services publics, a apporté la preuve depuis un an que, sans réformes d'ampleur, elle risquait la faillite, financière et morale. 


 

Edito du 24 mars 2021

« Vaccin : trop de mots pour peu de choses » [Vincent Trémollet de Villers]

Il était temps. Enfin, on ouvre les vaccinodromes ; enfin, il n'y a plus de week-ends ni de jours fériés pour recevoir la précieuse injection. Enfin, les limites d'âge se réduisent. Enfin, la détermination et la logistique semblent aller de pair. Certes, il nous a fallu des mois ; certes, nous installons au printemps ce que d'autres, notamment les Anglais, ont commencé au début de l'hiver, mais à quoi bon pleurer sur le vaccin renversé ? Le temps qui vient est compté. Souhaitons qu'il permette sept jours sur sept, le jour comme la nuit, de compenser des semaines d'improvisation. Les doses, dans les premiers jours, risquent de manquer, mais elles finiront par arriver, et nous serons, espérons-le, fin prêts pour les accueillir.
Bien sûr, ces premiers mois de vaccination auront cruellement rappelé le « mal français » décrit par Alain Peyrefitte : « L'organisation française repose sur des principes contradictoires : autoritarisme théorique, absence d'autorité réelle ; commandement hiérarchique, neutralisé par le corporatisme ; liberté sans responsabilité ; droits sans devoirs ; sécurité absolue de carrière et de retraite, sans obligation et sanction. »

C'est un fait : en quatre ans, Emmanuel Macron n'a pas réformé l'État ; il ne le fera pas d'ici au mois de juin. Il a d'autant plus d'intérêt à choisir la force de l'action plutôt que la dramaturgie. À fermer, jusqu'à nouvel ordre, le dernier théâtre encore ouvert, celui de la gesticulation politique. Que l'on sorte, par ­pitié, de l'office hebdomadaire : Conseil de défense « décisif » le mercredi, conférence de presse bavarde et anxiogène du jeudi soir. Que l'on nous débarrasse de ces instruments inutiles que sont les attestations dérogatoires, les pictogrammes régressifs, les slogans imbéciles, les conseils invasifs qui, de la table de Noël à la chasse aux œufs de Pâques, transforment Jean Castex en surveillant général d'un immense pensionnat pour enfants.

« Tenir », a dit le président de la République. La France entière tient depuis un an. Elle tiendra encore. Mais, puisque l'heure est aux formules : « Plus de vaccins, moins de baratin. »


Edito du 19 mars 2021

« Le vrai courage » [Laurence de Charette]

Et voilà que ça recommence! Le re-re-reconfinement, ce nouveau variant de la première souche, a beau être présenté comme un spécimen moins virulent, il n’en reste pas moins un rude coup pour les Français - pour les habitants des départements directement concernés mais aussi pour tous les autres, qui ne peuvent voir qu’un mauvais présage dans cette forme d’éternel retour.

«Nous avons beaucoup appris depuis le premier confinement», s’est rengorgé hier Jean Castex. Indéniablement, le vocabulaire gouvernemental s’est enrichi: confinement peut désormais être dit «mesure de freinage massif», et pour parler des fermetures, on préféra «ouvertures encadrées».

Mais on cherche en vain - alors que déferlent les images du retour à la vie en Israël - les leçons tirées des mois passés.

On nous dira que la troisième version du confinement est plus «souple», plus «humaine». Elle signe pourtant le retour des fameuses attestations que l’on croyait classées parmi les mauvais souvenirs, des «motifs impérieux», des «commerces essentiels», des produits autorisés, et des normes en cascade. On nous dira qu’il s’agit là d’une décision «courageuse» et «difficile à prendre». Elle est surtout difficile à encaisser.

Courageuse fut sans aucun doute la décision du 29 janvier de ne pas reconfiner. Elle est désormais caduque. Courageux aurait été le choix de ne pas suspendre, par suivisme, l’utilisation du vaccin AstraZeneca pour en redécouvrir 48 heures plus tard la fiabilité. Courageux aurait été aussi, il y a des mois, de se lancer - quoi qu’il en coûte - dans l’achat de vaccins et l’organisation d’une vaccination collective performante.

Courageux aurait été, enfin, de passer outre les conformismes administratifs, les objections financières et la rhétorique médicale pour créer ces fameux lits de réanimation que le président de la République lui-même continue, en vain, de réclamer. Courageux surtout sont les Français qui depuis un an supportent ces ratages en série.


Edito du 17 mars 2021

«Le variant français» [Vincent Trémollet de Villers]

Fera-t-on un jour le terrible bilan du principe de précaution ? Il a fait mourir nos anciens seuls dans les Ehpad et privé leurs familles de funérailles. Il a repoussé le port du masque (pas fiable à 100 %), l'utilisation des tests (il y a des faux négatifs), l'homologation des vaccins. À ceux qui pensaient naïvement que la première vague entraînerait la création de lits supplémentaires, l'embauche de réanimateurs, on a répondu que c'était très compliqué, qu'il fallait des années, qu'il valait mieux au fond ne rien faire que mal faire. Nous n'avons rien fait : un an plus tard, la France s'inquiète de l'engorgement des hôpitaux. Par précaution, pour la troisième fois en douze mois, les pouvoirs publics devraient imposer aux gens de s'enfermer chez eux. Pour couronner le tout, 30 cas de thromboses, sur 20 millions d'Européens ayant reçu une injection du vaccin AstraZeneca, ont provoqué, par précaution (et injonction allemande), sa suspension pour quelques jours. Non contents d'avoir voulu faire des économies sur la commande de vaccins (alors que nous dépensions sans compter par ailleurs), nous voilà obligés d'interrompre la vaccination !

Respect tatillon des normes, dilution des responsabilités, mimétisme des décisions, risque pénal envisagé à tous les niveaux : c'est la quadrature de l'impuissance publique. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas d'être imprudent, ni bravache, mais simplement de rappeler à ceux qui nous gouvernent qu'il n'y a pas d'exercice du pouvoir (surtout lors d'une telle crise) sans prise de risque ; aux citoyens infantilisés, qu'il n'y a ­pas d'existence sans danger.

Pendant ce temps, Boris Johnson avance au grand galop : homologation plus rapide, ­espacement de doses, maintien du vaccin AstraZeneca. Dans son pays, on compte aujourd'hui près de 25 millions de premières injections, contre 5 millions chez nous. Des précautions, encore des précautions, toujours des précautions : c'est la formule du variant français. Il nous désarme, nous déclasse, nous déprime. Seul antidote : le courage.


Edito du 15 mars 2021

« Cinema inferno » [Bertrand de St-Vincent]

Un an, ou presque, que les films français et étrangers ont déserté le grand écran. On guettait les César avec une lueur d’espoir. Certes, la cérémonie nous a habitués à des scénarios catastrophes ; celui de l’an dernier, avec chasse à l’homme et invitation au classement des invités par couleur de peau, atteignait des sommets. Cette année, une occasion unique était offerte de renouer avec la grâce. Du glamour, du charme, une touche d’humour, et la France entière se serait levée pour la réouverture de ses salles.

Le cinéma, c’est du rêve. Las, lorsqu’on a ouvert les yeux, le cauchemar était toujours là. En robe Chanel, en chemise de nuit ou dans le plus simple appareil, les damnés de la terre semblaient s’être donné rendez-vous à l’Olympia. Pendant plus de trois heures, des intermittents aux migrants, des pesticides à l’islamo-gauchisme, d’Adama Traoré à George Floyd, on applaudit à peu près toutes les causes, à l’exception de celle du septième art. On se serait cru à un meeting de bobos gauchistes ; ne manquaient que les black blocs. Mais il est vrai que pour détruire la vitrine du cinéma français les comédiens présents sur scène n’avaient besoin de personne.

Toutes les interventions allaient dans le même sens - les autres sont interdits : celui d’une mise en cause de la politique gouvernementale, des méfaits du capitalisme, de la domination blanche. Reléguée en coulisses, Roselyne Bachelot, telle Marie-Antoinette, attendait sa décapitation.

À de rares exceptions près - Catherine Ringer interprétant Bécaud, une jeune espoir se disant «honorée», Sami Bouajila évoquant son père -, seuls les morts auxquels fut rendu hommage inspiraient le respect.

À l’issue de la soirée, les César avaient atteint leur objectif : faire fuir les téléspectateurs, déchaîner les critiques sur les réseaux sociaux, donner envie de regarder de vieux films sur Netflix. Sur les ruines encore fumantes de ce champ de bataille, on chercha, en vain, une voix autorisée capable de s’élever contre cette parodie mortelle. Il n’y eut personne. On a beau savoir qu’au cinéma les héros sont de fiction, ce silence apeuré résonne comme un coup de feu.


 

Edito du 6 mars 2021

« Un an de COVID-19 : demain la liberté » [Alexis Brézet]

Et dire qu’il fut un temps où nous vivions sans «gestes barrières» ni «distanciation sociale»! Un temps où les grands-parents avaient le droit d’embrasser leurs petits-enfants. Un temps où, dans un joyeux coude-à-coude, nous pouvions nous retrouver entre amis, après le théâtre, au bistrot ou au restaurant. Un temps où le spectacle d’une accolade dans un film, celui d’une poignée de main dans une série ne nous faisaient pas encore sursauter. Un temps où ce satané bout de tissu ne s’interposait pas sans cesse entre nous et le monde. Un temps où nous vivions (presque) en liberté.

Ce temps, après tout, n’est pas si loin. Un an tout juste, ce samedi, depuis la fermeture des cinémas et des restaurants annoncée entre chien et loup par Édouard Philippe à la veille de surréalistes élections. Et, le lundi, « Nous sommes en guerre», Emmanuel Macron qui confine le pays sans prononcer le mot…

Un an seulement, mais il semble parfois, par un étrange effet secondaire dont le virus est coutumier, que de ce temps-là nous ayons perdu la mémoire, l’odeur et le goût.

Et dire que viendra le jour - car il viendra n’en doutons pas - où ce cauchemar sera derrière nous! Une vie sans masque ni attestation, enfin débarrassée des épidémiologues, des virologues et des infectiologues, des taux d’incidence et des variants, de la morgue d’Olivier Véran, de la désinvolture de Jean-François Delfraissy, de la délectation morose de Jérôme Salomon.

Ce jour-là, la vie reprendra son cours, ni meilleur ni pire qu’avant. Nous oublierons peut-être, parce que nous avons la mémoire courte et un bon fond, la pantalonnade des masques, la catastrophe des tests, le scandale des lits de réanimation, le désastre de la vaccination. Nous oublierons l’arbitraire administratif, l’arrogance médicale et l’incompétence politique. Nous oublierons même, parce que nous n’en serons pas fiers, que nous avons laissé mourir nos aînés dans le huis clos des Ehpad ou derrière les portes closes des services de réanimation, que nous les avons inhumés à la sauvette, qu’à trop vouloir «sauver des vies» nous en avons négligé la simple humanité.

Aurons-nous tout de même à cœur de tirer une ou deux leçons de cet événement total, universel et, par ses conséquences, sans précédent? Ce n’est pas garanti, mais si d’aventure certains manquaient d’idées pour la prochaine campagne présidentielle, on trouverait sans peine quelques principes à usage national dont la pandémie a clairement apporté la preuve qu’il était urgent de les restaurer.

Principe d’efficacité, tout d’abord. On l’a vu: l’intendance, trop longtemps méprisée, ne suit plus. Qu’il s’agisse de mettre en œuvre une campagne vaccinale, d’exécuter les décisions de justice, ou de lutter contre l’immigration, l’État (on fera une exception pour les services du fisc) n’a plus de prise sur les choses. Tatillonne et impuissante, envahissante et paralysée par l’obsession de sa propre protection, notre administration n’est plus capable d’agir. Il faut la réformer.

Principe de souveraineté, ensuite. À l’heure du grand péril, preuve est faite que les nations doivent d’abord compter sur elles-mêmes. La Chine triomphe, les États-Unis redémarrent, le Royaume-Uni tire son épingle ; l’Europe n’a pas su protéger les Européens. Indépendance stratégique, énergétique, industrielle, technologique: dans la grande bataille de la mondialisation, la France doit se réarmer et réapprendre à défendre sans complexe ses intérêts.

Principe de liberté, surtout. D’état d’urgence sanitaire en interdictions en tous genres, la pandémie l’a mise à mal en même temps qu’elle nous en a fait redécouvrir tout le prix. L’après-Covid devrait naturellement la rétablir? Peut-être, mais d’autres menaces, non moins pernicieuses, mettent en péril le droit non pas d’aller et venir mais tout simplement de penser. À l’heure de la «cancel culture», du nouveau racialisme et de la tyrannie des minorités, il ne faudrait pas que les masques soient remplacés par des bâillons.


 Edito du 4 mars 2021

« Dette COVID, le grand leurre » [Gaëtan de la Capelle]

La reconquête de la souveraineté de la France figurera, nous dit-on, au cœur de la prochaine élection présidentielle. Quoi de plus urgent, en effet, dans un monde toujours plus instable, que de retrouver la pleine maîtrise de son destin? Chacun, de gauche à droite, en fait profession de foi. Pour juger de la capacité des uns et des autres à y parvenir, il existe peu de meilleur révélateur que le débat sur la «dette Covid».

Certains se font fort de l'annuler d'un trait de plume, au motif qu'elle serait liée à des circonstances exceptionnelles et financée en partie par la Banque centrale européenne. Ils se disqualifient d'entrée de jeu. ­Passons sur l'impossibilité juridique - les traités l'interdisent - et disons les choses simplement: non seulement il est paradoxal de prétendre restaurer la grandeur de la France en commençant par renier sa signature, mais le déciderait-on que nous n'en aurions pas les moyens. Car, à force de laxisme budgétaire, nous avons perdu depuis longtemps la maîtrise de notre dette. Chaque année depuis un demi-siècle, nous creusons nos déficits et devons emprunter pour payer nos fonctionnaires et nos services publics. Sans nos créanciers, les caisses de l'État seraient vides à partir du mois d'octobre. Eux ne font pas la différence entre la «dette Covid» et celle que nous avons accumulée auparavant. Allons-nous trahir leur confiance?

Le surplus de dette lié à la pandémie (215 milliards sur un total de 2700 milliards) nous emmène certes sur des terrains inconnus (l'endettement national atteint 120% du PIB, soit le double de ce qu'autorisent les traités) mais ne change rien au tableau général. La France vit bien au-dessus de ses moyens et aux crochets non pas de la finance internationale, comme on nous le répète, mais des épargnants du monde entier. Elle retrouvera sa souveraineté le jour où elle reprendra enfin le contrôle de ses dépenses publiques. Certainement pas en leurrant les Français avec des promesses intenables.


Edito du 3 mars 2021

« Covid-19: «Le vaccin et Dr Coué » [Yves Thréard]

Ordre et contrordre créent le désordre. Qui est aujourd'hui, en France, éligible au vaccin? Quel produit doit-il recevoir en fonction de son âge et de son état physique? Quel intervalle doit-il respecter entre deux injections quand elles sont nécessaires? Qui est autorisé, entre l'hôpital, la médecine de ville et les pharmacies, à les lui administrer? Répondre à ces questions relève d'un véritable casse-tête. S'y ajoute un obstacle de taille: l'obtention d'un rendez-vous n'est pas tâche aisée et exige une sacrée dose de patience…

La semaine dernière, l'exercice d'autosatisfaction du premier ministre sur notre stratégie vaccinale avait tout de la méthode Coué. Sans parler d'Israël ou de la Grande-Bretagne, nombre de pays voisins font mieux que nous. La comparaison n'est pas flatteuse. Est-ce pour corriger le tir et accélérer le mouvement? Ce mardi, Olivier Véran a annoncé que le vaccin AstraZeneca pouvait désormais être proposé aux personnes âgées de 65 à 75 ans. Le même qui était jusque-là déconseillé pour les moins jeunes! La méfiance du discours officiel était telle que le personnel médical lui-même ne voulait pas se l'inoculer. Résultat: seul un quart du stock AstraZeneca livré à la France a été employé…

La volonté affichée par le président de la République de donner un cap pour un assouplissement des contraintes, d'ici quatre à six semaines, explique ce brutal changement de pied. Il faut s'en réjouir. Sans doute Emmanuel Macron pense-t-il aussi utile, à un an d'une échéance importante, de ne pas négliger la tranche de la population la plus exposée au virus. C'est également celle qui a le regard le moins critique sur lui.
L'actuelle pagaille vaccinale rappelle les précédentes, sur les masques, le dépistage et les lits de réanimation. Communication bavarde et chaotique, chaîne de décisions labyrinthique avec des comités Théodule à tous les étages, principe de précaution poussé à l'excès… La crise sanitaire ne fait que souligner des tares françaises bien connues. Puisse-t-elle, quand l'heure du bilan sonnera, nous en vacciner…


 

Edito du 26 février 2021

« L'ère des sectaires »  [Yves Thréard]

Wokisme, islamo-gauchisme, décolonialisme… Que de formules obscures pour des intentions qui le sont beaucoup moins! Ceux qui les portent en étendard ont de claires ambitions: ils veulent réécrire l'histoire, gommer les mâles du genre humain, effacer la différence des sexes, crier leur haine du monde occidental. Ils entendent réveiller le peuple des soi-disant damnés de la société pour qu'il prenne conscience des horreurs qu'il subit depuis des siècles. L'heure est à la revanche sur l'ordre judéo-chrétien. Marx est mort, mais ses avatars rôdent, avides d'installer une nouvelle idéologie, tout aussi ravageuse. Discriminés de tous les pays, unissez-vous pour abattre l'homme blanc, au cœur rassis et au casier familial suspect ; il a du sang sur les mains. Du passé, il faut faire table rase; et faire feu sur les résistants qui dénoncent la prise en otage des esprits. Celui qui dit la vérité doit être exécuté: il est immédiatement qualifié de fasciste, de raciste, d'ennemi des masses opprimées. Maintenant, celui-là doit payer sa dette.

Tel est le visage de ce nouveau militantisme qui se propage en Europe et en France. Ses thèses irriguent de plus en plus les milieux politiques, syndicaux, universitaires, intellectuels, sportifs. Elles ont pris d'assaut les réseaux sociaux, qu'elles polluent de leurs détestations. Importée des États-Unis dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, cette vague ne recule devant aucune outrance pour s'imposer. On l'a vue à l'œuvre à Paris, en novembre 2019, quand des manifestants défilant contre l'islamophobie arboraient une étoile jaune! Émettre une critique, c'est permettre à ses tenants de se poser en victimes. Frédérique Vidal vient d'exprimer son inquiétude face à la montée de l'islamo-gauchisme dans les facultés. Aussitôt, les mandarins de l'enseignement supérieur ont exigé la démission de la traître.

Ainsi sont-ils, ces apôtres de l'antiracisme, de la diversité, de la défense des minorités: des activistes aux pratiques totalitaires. C'est l'ère des sectaires. 


 

 

Edito du 25 février 2021

« Vraiment pas essentiels »  [Vincent Trémollet de Villers]

Absents des taux d'incidence, des courbes quotidiennes, des modélisations, des conférences de presse, ils attendent. L'interrupteur administratif a éteint leur vie professionnelle et par voie de conséquence fragilisé leur vie économique, réduit leur vie sociale, tourmenté leur psychologie. Depuis près d'un an, d'annonces en revirements, ils dépendent, impuissants, des chiffres qui tombent et des décisions qu'ils déclenchent. On leur a dit de ne pas s'inquiéter, que les aides viendraient compenser l'inactivité, que la priorité était sanitaire; en une formule cinglante et malheureuse, qu'ils n'étaient «pas essentiels». Bonnes pommes, ils l'ont accepté. S'ils prennent le risque de demander timidement pourquoi les lits de réanimation sont si rares, pourquoi les doses de vaccin si lentes à venir, on leur répond devant le sinistre fond blanc de la liturgie du jeudi soir que tout cela se déroule parfaitement mais qu'ils doivent prendre garde à bien respecter les gestes barrières parce que ce sont d'abord eux, les citoyens, qui sont responsables de la circulation du virus ! On leur a donné des dates, des perspectives, et puis, de préconisations du Conseil scientifique en variants inquiétants, on les a relégués une fois encore au deuxième plan. Pour eux, tout est à l'arrêt, et, après onze mois de surplace, l'interrogation hier absurde prend corps : et si cet intermonde s'installait pour toujours ?

Révoltés? Non, en proie à une profonde lassitude, souligne le Cevipof dans sa dernière étude annuelle sur l'état d'esprit des Français.

Ce soir, une fois encore, Jean Castex devrait prendre la parole. Les chiffres ne sont pas bons, la situation se dégrade, et déjà le système d'information s'emballe, les «confineurs» jubilent: il va falloir fermer à double tour. Ce serait laisser de côté une fois encore les oubliés du tour de vis. Ils ne demandent pas, ces gens raisonnables, à prendre le pas sur l'urgence médicale qu'impose une pandémie; ils voudraient simplement être pris en compte dans des décisions qu'ils payent au prix fort. La France n'est pas qu'un hôpital; c'est le devoir du politique de s'en souvenir.  


Edito du 15 février 2021

«Reconfiner, disaient-ils…» [Alexis Brézet]

Blouses blanches et costumes gris, épidémiologues et urgentistes, experts ès virus et présidents de comité… quand Emmanuel Macron, fin janvier, a choisi de ne pas infliger à la France l’épreuve d’un troisième confinement, tous ils ont défilé sur les plateaux de télévision pour dire leur inquiétude et (mezza voce) leur désapprobation. Jean Castex avait sa mine des mauvais jours ; Olivier Véran, l’œil noir et le sourcil froncé. La décision du président, nous disait-on, était un «pari». Comprendre: un pari risqué, trop risqué. Les variants en embuscade ne nous laisseraient, paraît-il, pas profiter longtemps de ce sursis trop «politique» pour être scientifiquement honnête. Le reconfinement, c’est sûr, on n’y couperait pas ; et il serait d’autant plus rude qu’on aurait trop tardé…

Mais souvent variant varie, bien fol qui s’y fie! Quinze jours plus tard, non seulement l’épidémie n’est pas repartie en flèche mais, alors que le ou les variants gagnent du terrain, il semblerait même - prudence, prudence - que la maladie ralentisse un peu. Et plus personne ne reproche au président de la République d’avoir décidé seul contre tous, ou presque, que l’on ne refermerait pas le couvercle sur ce qui reste de vie dans ce pays.

Est-ce à dire que nous sommes définitivement à l’abri d’un nouveau confinement? Non, évidemment non! Dans quinze jours, dans un mois ou dans deux, le nouveau péril venu du Brésil, d’Afrique du Sud ou d’ailleurs nous y contraindra peut-être. Mais ces jours et ces semaines gagnés sur la crise économique, la détresse psychologique et le malheur collectif, au moins, ne nous seront pas repris.

Est-ce à dire qu’Emmanuel Macron, parce qu’il a eu le cran d’opposer le bon sens politique aux ayatollahs du confinement «de précaution», peut désormais s’estimer quitte des critiques qui visent la gestion de l’épidémie par son gouvernement? Ce serait aller un peu vite en besogne, mais les ratages flagrants (masques, tests, traçage, places en réanimation, et maintenant vaccins…) dont il aura du mal à s’exonérer sont trop nombreux pour lui contester les mérites d’une excellente décision.


 

Edito du 8 février 2021

Capacités de réanimation: «De la promesse à la réalité» [Yves Thréard]

Était-ce une promesse intenable ou une erreur de communication? Le 25 juin dernier, peu après le premier confinement, Olivier Véran annonçait que 12.000 lits de réanimation seraient «mobilisables» en cas de nouvelle vague épidémique. Soit 7000 de plus qu’en compte la France en temps ordinaire. Sept mois ont passé, le coronavirus court toujours, mais la déclaration du ministre de la Santé est restée lettre morte…

Nul n’ignore que le pouvoir exécutif aligne, depuis le début, sa politique anti-Covid sur les capacités d’accueil de notre système hospitalier. Spontanément, on se demande donc pourquoi il n’a pas augmenté celles-ci pour laisser davantage de libertés à la population. Olivier Véran n’aurait pas dû faire naître pareil espoir car, dans le climat anxiogène ambiant, il a été pris au mot. Au risque d’ouvrir une énième controverse. C’est l’une des grandes leçons de cette crise sanitaire: la parole publique doit être pesée au trébuchet pour ne pas semer le doute et la méfiance.

Sur les lits de réanimation, la réalité est évidemment moins simple. En créer de nouveaux suppose de former le personnel qui accompagne cette extension, ce qui prend du temps. C’est aussi, potentiellement, accepter que la pandémie fasse davantage encore de victimes. La réanimation est le stade ultime du traitement des malades: plus on y recourt, plus la courbe de la mortalité est susceptible de monter. Ces arguments s’entendent. N’empêche! Si la traque au virus dans toutes ses phases - tester, tracer, isoler, soigner, vacciner - avait été mieux anticipée et organisée, notre pays aurait sans doute mieux traversé la tempête.

Les conséquences économiques, sociales, scolaires, tout comme l’état psychique de la nation retiennent aujourd’hui l’attention. Un «Ségur de la santé» a eu lieu, principalement concentré sur la rémunération des personnels soignants. Les défaillances de notre système hospitalier n’ont été que très peu abordées. La pandémie a pourtant montré qu’il était urgent d’agir aussi sur ce front.


 

Edito du 3 février 2021

« Vae Victis » [Jacques Olivier MARTIN]

Bien sûr on ne gagne pas à tous les coups en matière de recherche médicale! La probabilité de trouver un traitement performant est même très faible, moins de 0,1% de taux de succès. Des centaines de projets de vaccin contre le Covid lancés il y a un an dans les pays occidentaux, trois ont reçu une autorisation de mise sur le marché - un exploit, on ne le répétera jamais assez - et une petite poignée devrait être homologuée avant l'automne. Derrière, des dizaines d'équipes ont jeté l'éponge ou pris du retard. Il y a les vainqueurs: des labos allemands, américains, britanniques… Et les vaincus: Sanofi, l'Institut Pasteur, la France… La défaite est amère parce que nous sommes le seul grand pays de l'industrie pharmaceutique à ne pas avoir réussi, parce que la patrie de Pasteur a toujours été l'un des champions mondiaux en matière de recherche vaccinale, parce que notre souveraineté est une fois de plus mise à mal.

Décidément, la crise du Covid est sévère pour notre pays. Au printemps, les Français ont découvert à l'épreuve de la réalité ce que valait le prétendu meilleur système de santé au monde. Aujourd'hui, ils doutent de leur recherche. À raison. De quoi souffre-t-elle? Des conséquences du «mal français», ce grand mélange de bureaucratie obèse, arrogante, de dépenses financières incontrôlées et inefficaces et d'une certaine aversion au risque. Ainsi, mal payés, les jeunes chercheurs quittent le pays. Mal financés, les laboratoires publics de recherche déclinent. Effrayés par la complexité et les lourdeurs administratives pour mener des essais cliniques, les labos se détournent de la France. Et l'on pourrait ajouter que, trop longtemps abandonnée, l'industrie pharmaceutique nationale s'est affaiblie ou a plié bagage.

La loi sur la recherche qui vient d'être votée va certes dans le bon sens, et les efforts affichés pour ramener la production de médicaments en France également. Mais ne nous méprenons pas, pour sauver la recherche, il faudra aller beaucoup plus loin et surtout nous attaquer - sans vaccin ni traitement de choc - à ce «mal français» qui détruit partout notre nation depuis des décennies. Et après? «La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés…», assurait Louis Pasteur. Alors, haut les cœurs!


 

Edito du 2 février 2021

«Crise sanitaire : les naufragés du ciel » [Gaëtan de la Capelle]

S'il fallait trouver un symbole des principales victimes de la crise sanitaire, nul doute que les bistrotiers et les restaurateurs l'emporteraient haut la main. La fermeture administrative, pour une durée indéterminée, de ces dépositaires de notre art de vivre suscite une attention particulière bien compréhensible. Loin des comptoirs et des bonnes tables, victime de la quasi-fermeture du ciel depuis près d'un an, le secteur aérien traverse lui aussi, en silence, la plus grave crise de son histoire. Les chiffres de ce trou d'air donnent le tournis: activité réduite des deux tiers sur les tarmacs, nombre de passagers divisé par trois en un an, pertes cumulées des compagnies proches de 120 milliards, renflouements et aides d'État supérieurs à 170 milliards… N'en jetez plus! Personne n'échappe au carnage. Pas plus les compagnies low-cost, réputées les plus résistantes, que leurs concurrentes historiques comme Air France-KLM, placées sous perfusion d'argent public. Au bout du compte, les destructions d'emplois se chiffreront en dizaines de milliers, sans garantie de survie pour de nombreux transporteurs. Tous n'auront pas les reins suffisamment solides pour résister jusqu'à un hypothétique retour à la normale, que certains n'envisagent pas avant dix ans.

Le cataclysme qui balaie le transport aérien déborde largement ce seul secteur et chaque nouvelle restriction sur les voyages provoque d'incalculables effets en cascade: logés à la même enseigne, tous les sous-traitants des compagnies et leurs fournisseurs étouffent eux aussi à petit feu. Sans doute la situation sanitaire justifie-t-elle aux yeux du gouvernement des mesures pour limiter le trafic. Mais ici comme ailleurs, leur coût devient exorbitant pour des pans entiers de l'économie, ainsi que pour les finances publiques. Tôt ou tard, il faudra en payer la facture, déjà astronomique. C'est dire l'urgence de la vaccination, sans laquelle cette baudruche ne cessera jamais de gonfler.


 

Edito du 30 janvier 2021

«Pas de Confinement, la surprise du chef » [Vincent Trémollet de Villers]

Tout avait déjà été décidé! La stratégie sanitaire? Elle se résumait en un mot: confinement. Le premier ministre peinait à cacher son impatience, le ministre de la Santé ses certitudes, le président du Conseil scientifique sa volonté. Pour eux, il fallait faire comme nos voisins, comme en mars, comme en octobre: il n’y avait pas d’alternative. Enfermer les gens chez eux, ce levier administratif archaïque, tendait à devenir un usage commun. Quand la menace se dessine, il est urgent de baisser le rideau…

Il est surtout urgent d’attendre, leur a répondu Emmanuel Macron, montrant qu’un choix prudent pouvait être une audace. Bien sûr, le «plateau» est haut, les hôpitaux déjà pleins et les variants inquiétants, mais le panorama d’un pays désolé par un an de restriction, l’usure lente des écrans, l’éloignement du travail, la crainte du déclassement, le poison de la solitude, le désespoir qui peut mener au pire est aussi un motif de profonde préoccupation. Il semble que la polarisation des esprits sur les uniques indicateurs sanitaires a parfois fait oublier ces tristes réalités. Il faut sauver des vies, tout le monde est d’accord, mais, après dix mois d’existence atrophiée, il s’agit aussi de sauver la vie.


« Trêve des confineurs » [Vincent Trémollet de Villers]

Après Sganarelle, après Knock… voici Jean-François Delfraissy, le docteur qui souvent varie! Son diagnostic d'un jour n'est pas celui du lendemain et diffère encore le jour d'après. Ainsi il peut faire la preuve en toute situation qu'il avait vu juste. Avant de se rétracter, le président du Conseil scientifique était un des ténors du chœur des confineurs. Ces voix qui montrent une forme d'allégresse quand s'approche la décision primitive et brutale. Emmanuel Macron, lui, n'est pas pressé. Comment le lui reprocher?

Pour le convaincre, on lui met sous les yeux d'effrayantes modélisations: méfiance! Celles de l'institut Pasteur, en novembre, prévoyaient un pic qui n'est pas advenu (9000 personnes en réanimation le 15 quoi que l'on fasse, nous étions fort heureusement à 5000) ; en décembre, une baisse qui n'est pas arrivée. Les variants? Ils nourrissent une légitime inquiétude, mais, sur bien des aspects, le dissensus scientifique subsiste.

Rappelons une évidence: Emmanuel Macron est président de la République. La République française, ce n'est ni un conseil scientifique, ni une administration, ni un ensemble statistique. C'est une nation peuplée de citoyens de chair et de sang qui subissent de plein fouet l'agression du virus et les effets délétères de la lutte contre l'épidémie. Rideaux tirés, métier à l'arrêt, le chômage, le déclassement, la ruine parfois. Mais aussi ceux que chiffres et courbes sont impuissants à saisir. Solitude, lassitude, désespoir, détresse, colère: révolte? Où est le bien commun quand la lutte contre un fléau provoque, en regard, des drames en chaîne ; quand une société dévitalise l'existence en voulant la sauver? «Désormais, le geste gouvernemental par excellence, c'est le confinement généralisé», s'inquiète depuis le mois de mars le philosophe libéral Pierre Manent. Faut-il le croire? Le 11 mai, Emmanuel Macron avait choisi d'ouvrir les écoles. Une décision solitaire (les confineurs recommandaient l'inverse) devenue une fierté française. L'audace qui prime la précaution, l'ingéniosité qui surmonte les contradictions: la politique.


 

Edito du 16 janvier 2021

«Confinement, couvre-feu: la prison à domicile» [Vincent Trémollet de Villers]

 Une fois encore, on va fermer toutes les portes. À 18 heures chaque jour? Le week-end? Toute la semaine? Jour et nuit? Le compte à rebours éprouvant et absurde qui précède la conférence de presse du jeudi soir est enclenché. Corps fatigués, esprits usés, nerfs à vif, nos concitoyens ont appris à comprendre avant même qu’on leur parle. L’équation est simple: variant anglais + hiver froid et humide = confinement, un peu, beaucoup ou passionnément.

Un simple mot qui recouvre mille tracas, des minuscules soucis pratiques aux vertiges de la ruine, en passant par les souffrances discrètes mais réelles que provoquent l’isolement, la famille entassée, le métier interdit, la vie réduite à l’écran, la culture empêchée, l’amitié distanciée, l’horizon bouché. La prison à domicile, heure de promenade comprise. Depuis le début de cette histoire (c’est un fait moins qu’un reproche), ce virus nous échappe et l’épidémie se joue des décisions, des prédictions, des proclamations. À chaque fois le même résultat: la restriction. Le Covid écrit droit avec de mauvaises courbes.

On pourrait subir cette nouvelle épreuve comme une fatalité, mais un mot nous rappelle que nous sommes armés pour éviter qu’elle ne se reproduise sans cesse: vaccin. Et c’est là que la lenteur qui continue de caractériser la France est intolérable. Rappelons les choses. Le confinement est un frein qui a pour objet de réduire le nombre de contaminés, donc de malades, donc d’hospitalisations, donc de formes graves, donc de décès. On ne sait pas encore dans quelles proportions le vaccin peut empêcher la propagation du virus, mais une certitude: il contient sa virulence. En d’autres termes, plus les personnes vulnérables sont vaccinées, moins les restrictions s’imposent. L’obsession unique devrait donc être de décupler nos forces pour vacciner à tour de bras, sans relâche, jour et nuit. Le confinement est une défaite des hommes devant les mystères de la nature, la vaccination de masse illustre la capacité d’une société à les dominer. Ce devrait être la victoire de la politique.


Edito du 4 janvier 2021

«Confinement, couvre-feu: la prison à domicile» [Vincent Trémollet de Villers]

Qui commande? Qui décide? Qui applique? Si l'art du gouvernement est dans l'exécution, inutile de se cacher derrière des dénégations fracassantes, c'est une crise politique que nous vivons. Reprenons. Face au Covid-19, l'équation gouvernementale a fait du vaccin l'élément central. Soit. Il devait donc provoquer l'effet de souffle des grandes espérances collectives, entraîner un élan national après dix mois de peines…

Las! Quand l'Amérique, Israël, la Grande-Bretagne, l'Allemagne galopent, la France avance au rythme de l'escargot. Championne dans les restrictions, médaille d'or des attestations, elle est bonne dernière dans les solutions. «Nous n'y sommes pour rien ; les Français, trop sceptiques, sont coupables», claironne la parole officielle. Allons! Inutile d'invoquer la défiance d'une partie de l'opinion, quand il fallait justement s'appuyer sur la majorité de Français favorables au vaccin.

Depuis des mois, nos décideurs avaient le temps de préparer une logistique convaincante par sa rapidité et son efficacité. À la place: rien ou presque. La lenteur dans notre stratégie vaccinale, dénoncée par le chef de l'État lui-même, n'est pas seulement incompréhensible, elle est scandaleuse. En politique, les événements sont des dynamiques en action: le soupçon, scellé dans l'opinion par le mensonge originel sur les masques, ressurgit avec une telle force qu'il sera difficile de le dissiper.

Emmanuel Macron promet que l'exécutif va montrer dès aujourd'hui sa capacité d'exécution. En d'autres termes, dépasser la crainte paralysante du risque pénal, surmonter l'impéritie déclassante qui caractérise depuis le début de cette crise notre administration. Faut-il le croire? Les Français, épuisés de discours grandiloquents, de promesses contradictoires, de restrictions arbitraires, semblent incrédules. Comment leur en vouloir ?


 Edito du 6 janvier 2021

« Guerre de position » [Yves Thréard]

La mondialisation est implacable. Pour le meilleur et pour le pire. Elle a d'abord accéléré la propagation du virus à la vitesse de l'éclair. Elle a ensuite facilité l'exploit de la mise au point de vaccins, et de leur diffusion, en un temps record. Elle a enfin permis de mesurer la capacité de chaque pays à lutter contre la pandémie. Une guerre de positions est, en effet, engagée: sur une planète hyperconnectée, on sait immédiatement où en sont les nations. La Chine et une partie de l'Asie semblent sorties d'affaire. Certes, avec la manière forte. Sur le front européen, où le bout du tunnel paraît loin, la France fait, elle, figure de mauvaise élève depuis le début. Masques, dépistage, vaccination: retards et dysfonctionnements sont permanents et souvent coupables. Pourquoi?

Face au volet sanitaire de cette crise, notre appareil d'État n'est pas apparu omnipotent, mais impotent. Un État malade de ses boursouflures, englué dans ses procédures bureaucratiques, incapable d'agilité quand l'urgence le rattrape. Le monstre, qui ne fait confiance à personne - ni aux collectivités locales ni à la société civile -, n'a cessé de se mordre la queue. Ce n'est pas d'une réforme, évoquée depuis des lustres, mais d'une révolution structurelle qu'il a besoin.

Censé être au-dessus de lui, le pouvoir exécutif n'a pas su non plus le piloter. Il a multiplié les mensonges, les faux prétextes, les défauts d'anticipation. Suffisant par le verbe, insuffisant dans l'action. Quelle était, où est sa stratégie? On la cherche, en vain. Alors que la campagne de vaccination, condition sine qua non de la reprise économique et sociale, bat son plein ailleurs, le gouvernement a dit vouloir ménager une opinion hésitante. Il a fini par effrayer celle-ci tellement la comparaison avec l'étranger est accablante. Preuve que son programme n'était pas le bon, il se résout enfin à changer de braquet.

La course contre la montre continue avec l'inquiétante apparition d'un variant anglais et d'un cousin sud-africain, réputés plus contagieux. On espère désormais que la France va remonter le peloton pour ne pas perdre sur tous les tableaux.


 

Edito du 7 janvier 2021

« Sortie de route » [Philippe Gélie]

L'un des aspects admirables de la démocratie américaine tient à sa culture de la transition pacifique, affirmée avec constance depuis 230 ans. S'il y a eu des passations de pouvoir chaotiques, comme après l'assassinat de John F. Kennedy ou la démission de Richard Nixon, aucune n'a menacé l'ordre constitutionnel. Donald Trump est le premier président de l'ère moderne à remettre ouvertement en cause le vote de ses concitoyens, certifié par les autorités politiques et judiciaires du pays.

Tant qu'il demandait le recomptage de résultats serrés et faisait valoir ses arguments devant les tribunaux, le républicain était parfaitement dans son droit, et pouvait même se targuer de «protéger la démocratie». Quand il fait pression sur les élus de son camp pour qu'ils inversent le verdict et lance ses partisans à l'assaut du Capitole, il sort de la légalité et de la compétition démocratique.

Cette sortie de route peut-elle surprendre après les embardées de la présidence Trump? En 2000, au bout de cinq semaines de bras de fer électoral et judiciaire, le démocrate Al Gore avait «accepté» l'arbitrage défavorable de la Cour suprême et concédé sa défaite face à George W. Bush «pour le salut de notre unité et la force de notre démocratie». Deux mois et demi après le scrutin, Donald Trump en est toujours à convoquer ses partisans pour une manifestation «sauvage» à Washington, sous les fenêtres d'un Congrès où ses affidés livrent leur dernier baroud, contestant la proclamation des résultats sans avoir la majorité nécessaire pour l'empêcher. Il s'agit surtout de semer la pagaille et de marquer d'une tache indélébile - celle de son illégitimité supposée - la présidence de Joe Biden.

Donald Trump aurait pu sortir par le haut, en «président du peuple» fort d'un bilan contesté mais non négligeable. Au lieu de cela, son narcissisme ayant eu raison de toute dignité, il malmène les institutions, piétine la démocratie, divise son camp et achève sa présidence dans le fossé. Si, à la faveur de ce chaos, la victoire des démocrates en Géorgie se confirme, avec à la clef leur majorité au Sénat, Trump le «winner» aura tout perdu.


Edito du 31 décembre 2020

Brexit : « La grand saut » [Philippe Gélie]

Le Brexit n'est pas fini, il commence. Depuis quatre ans et demi, la procédure de divorce entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne a souvent flirté avec le précipice, mais l'accord ratifié in extremis hier à Londres et à Bruxelles permet au final une séparation amiable. C'est au moment où les Britanniques larguent les amarres avec l'Europe que s'ouvre vraiment le nouveau chapitre de leur «récit national», selon la formule de Boris Johnson, et peut-être de l'«affaiblissement mutuel» que redoute Michel Barnier. Ce 1er janvier, nous passons tous, insulaires et continentaux, de la théorie à la pratique.

La théorie n'a pas eu que des mauvais côtés. Elle a montré qu'il est possible de rompre avec l'UE - une option en soi rassurante pour la souveraineté des États membres. Quitter le club n'est, somme toute, pas plus difficile que d'y entrer, lorsqu'il faut digérer pendant des années 120.000 pages d'«acquis communautaires». Le «deal» prouve aussi que la rupture a ses limites: pour poursuivre les échanges indispensables entre voisins interdépendants, l'exigence de respecter des règles communes demeure. C'est la pratique qui pourra confirmer s'il fait plus chaud à l'intérieur d'une communauté puissante où l'on se serre les coudes. Nous verrons bien, a contrario, si la souveraineté britannique sort renforcée du cavalier seul.

La méfiance prévaut au moment du grand saut. Les Européens doutent que Boris Johnson résiste longtemps à la tentation de faire du dumping - fiscal, social, environnemental - pour concurrencer l'Union. Comment exister autrement à côté d'un mastodonte de 450 millions de consommateurs? Il a fallu 1246 pages pour baliser la relation future avec son rêve de «Singapour-sur-Tamise». Cela suffira-t-il? À en croire BoJo-le-charmeur-de-serpent, la Perfide Albion se métamorphoserait en «meilleur des alliés» après avoir été «un membre peu convaincu, parfois obstructionniste» pendant quarante-sept ans. Ce serait une sacrée surprise si la Grande-Bretagne ne faisait pas tourner l'UE en bourrique, maintenant qu'elle en a gagné le droit.


Edito du 28 décembre 2020 

Vaccination contre le Covid-19: «Un immense défi» [Yves Thréard]

Mauricette était émue. On l'était avec elle. Première à être vaccinée en France, cette ancienne aide ménagère de 78 ans portait, dimanche, l'espoir de tout un pays. Après une année angoissante, c'était un peu comme si une nouvelle page s'ouvrait enfin. Moins sombre, plus optimiste. La longue histoire du coronavirus retiendra sans doute ce jour tant attendu qui signe l'exploit de la recherche médicale. Jamais des vaccins n'avaient été mis au point aussi vite. N'en déplaise à certains, la concurrence et le progrès ne sont pas de vains mots.

Les Français et l'ensemble de la planète ne sont pas tirés d'affaire pour autant. Inutile de crier victoire. Il faudra encore patienter plusieurs mois avant qu'une majorité de la population soit vaccinée, condition sine qua non de l'immunité collective. D'ici là, la vie quotidienne va continuer à ressembler à ce qu'elle est depuis près d'un an: guère réjouissante. Les masques ne vont pas tomber. Toutes les libertés ne seront pas restaurées. La perspective d'une troisième vague est même évoquée.

Sur ces vaccins, quelques questions demeurent sans réponse. Les effets secondaires sont-ils tous identifiés? Les deux injections nécessaires prémunissent certes contre la maladie, mais empêchent-elles la contagiosité? Sont-elles efficaces contre toutes les variations du virus? L'immunité est-elle à jamais acquise? Nul n'est capable de certitudes.

Le monde d'après, espéré, rêvé, chanté sur tous les airs, n'est pas pour demain. Réussir l'étape décisive de la vaccination est un immense défi préalable, posé à tous les gouvernants. Notamment en France, où le pouvoir exécutif a souvent été, à juste titre, sous le feu des critiques. Après le calamiteux épisode des masques et les ratés du «tester, tracer, isoler», il ne peut se permettre un autre faux pas. Il lui appartient désormais de vaincre l'hésitation vaccinale - très élevée - et les lourdeurs de la machine bureaucratique. À lui donc d'œuvrer avec tact pour ne pas aggraver la défiance, l'autre virus de ce début de siècle en France.


 

Edito du 18 décembre 2020

« Le virus et le président » [Vincent Trémollet de Villers]

Breaking news ! Le président de la République est un homme comme un autre. Sa fonction n’est pas un totem d’immunité. Les deux corps du roi sont vulnérables aux virus qui circulent. Emmanuel Macron comme des centaines de milliers de Français avant lui est positif au Covid-19. Les symptômes pour le moment sont légers ; on souhaite qu’ils le restent.

Déjà, la loupe de l’information ausculte chacun des gestes de la semaine passée. On traque la poignée de main, l’accolade, le dîner à plus de six, le masque que l’on retire, les réunions nocturnes qui s’étendent sur plusieurs heures: la vie quotidienne d’un chef d’État au XXIe siècle. Dans l’ombre des messages souhaitant un prompt rétablissement, on décèle déjà l’esprit polémique. Et le masque en permanence? Et les gestes barrières? Et l’exemplarité? Les prédicateurs du risque zéro profitent de l’aubaine, les petits pions numériques qui jubilent de répandre le soupçon d’irresponsabilité sont aux anges. Ne serait-ce pas l’expression d’une justice immanente? Le châtiment réservé aux hérétiques de l’orthodoxie sanitaire? Et si cet épisode à la fois minuscule (un virus qui circule beaucoup depuis longtemps) et considérable (l’appareil d’État en quarantaine, la cascade des cas contacts aux quatre coins de l’Europe) n’était pas aussi, sous le feu médiatique, le rappel d’une vérité première: vivre, c’est s’exposer aux risques de l’existence?

Ceux-là mêmes dont la charge impose de recommander sans cesse la prudence (qu’ils n’appliquent pas toujours) n’échappent pas à la menace qu’ils décrivent. Le Docteur Knock y verra la preuve ultime de la justesse de son diagnostic: si nous vivions chacun cloîtré dans une pièce, nous n’en serions pas là. Il est permis, cependant, de souligner autre chose dans cette histoire: la prétention étouffante d’une politique sanitaire impuissante à maîtriser un virus qui se joue d’elle. Les événements, disait Balzac, sont des ironies en action. Celui que nous vivons rappelle qu’Emmanuel Macron avait trouvé la formule la plus sage pour affronter ces temps éprouvants: «Vivre avec le virus.»


Edito du 11 décembre 2020

«Gafa: la fin de l'hégémonie?» [Gaëtan de Capèle]

Le vent tourne pour les surdoués de la Silicon Valley. Chaque jour plus inquiète de leur puissance grandissante, l'Amérique elle-même a décidé de s'en prendre au plus symbolique d'entre eux, Facebook. Entrepreneur d'exception, célébré pour sa vista et son inventivité, pressenti pour devenir un jour président des États-Unis, le héros Zuckerberg fait maintenant figure d'épouvantail. On le pensait hors d'atteinte ; il va devoir se battre bec et ongles pour éviter la désintégration de son groupe.

La procédure engagée aux États-Unis contre Facebook marque un tournant dans la lutte contre l'hégémonie des Gafa. Pour la première fois sur leur terre natale, on demande officiellement le démantèlement de l'un d'entre eux. Pour en arriver là, il aura fallu que la limite de ce que peut accepter une économie libérale et concurrentielle soit atteinte. Que la toute-puissance et le sentiment d'impunité de ces ogres des temps modernes soient devenus inacceptables. Nul ne conteste le mérite qui revient à Facebook et à ses acolytes dans leur réussite exceptionnelle. Comme les autres, le roi des réseaux sociaux a bâti son succès sur une technologie hors pair, des services irréprochables, des innovations ingénieuses, des choix stratégiques sans faute. Mais, depuis longtemps déjà, la suite de l'aventure est extrêmement contestable. Fort de sa position ultradominante, Facebook - comme Google ou Amazon dans leurs secteurs - utilise tous les moyens, y compris les moins avouables, pour détruire la concurrence et accaparer toutes les recettes du web. Ses incursions dans la politique, à travers le scandale Cambridge Analytica, ou dans le domaine régalien avec la création de sa propre monnaie, le libra, ont achevé de convaincre qu'il était plus que temps d'en reprendre le contrôle.

L'offensive américaine vient à point nommé, au moment où l'Europe se réveille enfin, sous l'impulsion déterminée du commissaire français Thierry Breton, pour desserrer l'étreinte des Gafa. Même avec l'aide d'Oncle Sam, ce sera une œuvre de longue haleine.


 Edito du 16 décembre 2020

«Le référendum, l’arbre qui cache la forêt»  [Yves Thréard]

Il a osé! Emmanuel Macron veut sortir l’arme du référendum dans les derniers mois de son quinquennat pour inscrire la préservation de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution. De prime abord, la réforme paraît pavée de bonnes intentions: qui, par les temps qui courent, peut s’afficher en ennemi de la protection de la nature? Le problème est que celle-ci figure déjà dans le préambule de la loi fondamentale depuis 2005. Dès lors, l’objectif du chef de l’État, qui ferait là d’une pierre deux coups, saute aux yeux: son image se verdirait avantageusement et ses adversaires seraient piégés en vue de la campagne présidentielle. Il est évident que la réalité sera pourtant moins simple.

Politiquement, la manœuvre est risquée pour son auteur. Les Français répondent rarement à la question qui leur est soumise. Ils préfèrent juger celui qui la pose. Entre pandémie et crise sociale, dans quelle disposition d’esprit seront-ils à l’endroit d’Emmanuel Macron le jour J? Ils seront nombreux, à droite comme à gauche, à fourbir l’artillerie lourde pour persuader l’électorat de l’imposture. En cas d’échec, Emmanuel Macron trouverait certes là une bonne raison de ne pas se représenter, comme il l’a récemment suggéré. N’empêche, au petit jeu du quitte ou double, on n’a pas de mal à deviner de quel côté penche la balance élyséenne.

Économiquement et juridiquement, l’initiative est, qui plus est, dangereuse. Elle est l’arbre de l’écologie qui cache une forêt de périls en perspective. Dans l’hypothèse d’une victoire, il faut redouter la portée d’un tel référendum. Le droit d’entreprendre, celui de travailler et bien d’autres encore pourraient être remis en question dès lors que «la République garantit la préservation de la biodiversité et de l’environnement»? Qui en décidera? Le Conseil constitutionnel, qui soumettrait la société à une obligation immédiate de résultat?

Il était prévisible que le ver se cacherait dans le fruit de la Convention citoyenne sur le climat voulue par Emmanuel Macron. En cédant à la mode de la démocratie participative, le chef de l’État a mis le doigt dans un engrenage incontrôlable. «Le tout, dans l’audace, c’est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin», disait Cocteau.

 

Edito du 10 décembre 2020

«Brexit: poker européen» [Patrick Saint-Paul]

Les protagonistes se connaissent par cœur au terme de trois ans et demi d'une négociation qui a pris les allures d'une partie de poker. Jusqu'au bout de cette interminable donne, Européens et Britanniques osent encore les coups de bluff et refusent d'abattre leurs cartes. À trois semaines d'un divorce aux conséquences économiques lourdes pour l'Union européenne et le Royaume-Uni, personne ne sait encore dans quelles conditions il se déroulera.

Celui qui est capable de prédire l'issue mérite «un poste de scénariste dans l'industrie du cinéma», dit-on à la Commission! Un dirigeant européen estime les chances d'un accord à «50-50». Le négociateur, Michel Barnier, croit encore un «deal» possible tout en jugeant un «no deal» plus probable. Chacun veut faire croire que l'autre a le plus à perdre dans une séparation sans accord. La réalité est que le Royaume-Uni écoule 47% de ses exportations vers l'UE, contre 7% dans le sens inverse. Peu importe qui a le plus à perdre. Pour les Européens, comme pour les Britanniques, il y aura un prix à payer, avec ou sans accord.

Mercredi soir, le premier ministre britannique, Boris Johnson, et la patronne de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen, devaient dévoiler leurs ultimes lignes rouges, jauger la possibilité d'un compromis. Ils jouent leur partie, les revolvers posés sur la table. Les Européens s'accrochent à l'espoir d'un accord dans les prochains jours, mais pas à n'importe quel prix: l'intégrité du marché unique doit être préservée avec des règles équitables. Pour «BoJo», qui a accepté un compromis en retirant les articles incriminés par l'UE de sa loi sur le marché intérieur, c'est à l'Europe de reculer. Son pays doit retrouver sa souveraineté, comme il l'a promis aux électeurs… Jusqu'au bout, ses partenaires s'interrogent sur son intention réelle: limiter les turbulences économiques provoquées par la crise sanitaire avec un «deal», ou, au contraire, en faire porter la faute sur les Européens en choisissant un «no deal». L'heure a sonné de jouer cartes sur table!

 

Edito du 8 décembre 2020

«La France de non-droit» [Vincent Trémollet de Villers]

Après les territoires perdus de la République, voici les heures abandonnées par l'ordre public. Dans les premiers, on agresse les policiers, les pompiers, on brûle les voitures, on dégrade aveuglément une bibliothèque, une école. C'est un chaos de périphérie, des saccages de banlieue. Dans les secondes, depuis trois ans, les centres-villes le samedi après 17 heures subissent une violence équivalente: vitrines détruites, véhicules en flammes, cocktails Molotov, forces de l'ordre prises en chasse. Dans les deux cas, les voyous - en banlieue, les jeunes des cités ; dans les villes, de petits-bourgeois anarchisants - sont à la fête, la police joue avec un courage qui force l'admiration le rôle de cible autorisée. Puis des images de guerre civile tournent sur les écrans, le ministre de l'Intérieur tweete avec la plus grande fermeté, les pauvres commerçants ramassent à la pelle les morceaux d'une autorité réduite en miettes.

On se soucie de façon erratique du conflit de basse intensité qui se déroule dans des dizaines de quartiers en France. La preuve? Quand, le soir du 31 décembre, les incendies se multiplient par milliers sur les parkings, le langage médiatique courant invoque une «tradition de la Saint-Sylvestre». En revanche, le déchaînement de violence qui se déroule chaque week-end réveille les esprits. L'opinion s'interroge: mais qui sont ces casseurs qui saccagent sous nos yeux? Mais que fait la police?

En vérité, de Champigny-sur-Marne à l'avenue Gambetta, l'objectif est le même: faire plier par la force la force légitime. La réponse aussi est la même: subir, accepter les destructions matérielles, éviter l'affrontement.

Dès lors, comment s'étonner que cette violence - autorisée en creux - fasse jurisprudence? S'ensuit dans la population un sentiment délétère: l'État est plus précautionneux avec ceux qui le défient qu'avec l'honnête citoyen. On invoquera à juste titre la doctrine du maintien de l'ordre, les blocages du droit, le manque de moyens. Mais ce qui caractérise d'abord l'attitude des pouvoirs publics face aux deux visages de cette France de non-droit, c'est le renoncement. Autrement dit, l'absence de volonté et de courage politique.

 

Edito du 6 décembre 2020 

Sécurité: «La coupable faiblesse d’Emmanuel Macron»  [Yves Thréard]

Maudits samedis qui se répètent. Peut-on encore longtemps tolérer l’intolérable spectacle de rues saccagées, de magasins vandalisés, de voitures carbonisées, de policiers et gendarmes insultés, débordés, frappés? La France n’est pas un pays autoritaire où la liberté d’expression est bridée, le droit de manifester, bafoué, la contestation, sauvagement réprimée. Pourtant, depuis des années, tous les prétextes sont bons pour y semer l’anarchie. Les causes de cette chienlit ne sont pas à chercher dans quelques fractures économiques ou sociologiques. Même si celles-ci existent. Elles relèvent bien davantage de l’incapacité de l’État à faire respecter son autorité. C’est lui, la cible. À la force de ceux qui veulent sa peau, il oppose une coupable faiblesse.

Black blocs, zadistes, indigénistes, altermondialistes, adeptes du drapeau noir ou «gilets jaunes» en perdition, les insurgés sont, à chaque fois, quelques centaines. Le climat insurrectionnel qu’ils provoquent néanmoins est sans proportion avec l’importance des manifestations, qui reste somme toute réduite. Ce samedi, les cortèges ne rassemblaient guère plus de 50.000 personnes au total en France ; 150.000 la semaine précédente. On a connu des déferlantes d’une autre ampleur. C’est donc la stratégie du maintien de l’ordre qui est à revoir de fond en comble. Le réarmement des forces de sécurité doit être une priorité: pour anticiper l’assignation à résidence des fauteurs de troubles, renforcer le renseignement, solidifier les chaînes de commandement, durcir les réponses pénales. Quelques-uns de nos voisins - l’Allemagne, notamment - y sont parvenus.

Cela suppose aussi un virage à 180° du discours présidentiel. Sur ce front, l’inconstance d’Emmanuel Macron est condamnable. Le chef de l’État ne peut pas prôner la fermeté un jour si, la veille, comme pour s’en excuser, il flirte avec la démagogie antiflics. C’est pourtant l’exercice médiatique auquel il s’est prêté vendredi. Le «en même temps» est ici un renoncement. Même l’immense majorité des jeunes - ceux qu’il pense flatter sur le dos des forces de l’ordre - lui en tiendra rigueur.

 

Edito du 3 décembre 2020

«Les technos font du ski» [Gaëtan de Capèle]

Et une nouvelle pièce dans le déconomètre! En neuf mois de régime d'exception au nom de la lutte contre le Covid, nous pensions avoir exploré la France de l'absurde dans ses moindres recoins. Du tri des produits autorisés dans les rayons de supermarché à la liste des déplacements permis autour de chez soi, en passant par le décompte des fidèles dans les églises, le monstre bureaucratique a montré, crescendo, l'étendue de sa nuisance. C'était compter sans l'extravagante affaire des stations de ski, dont on peut rire, mais surtout pleurer, emblématique entre toutes d'une dangereuse fuite en avant.

L'intérêt de la mesure elle-même est sérieusement sujet à caution: on doute qu'il soit plus périlleux pour la santé publique de skier en Suisse - où de strictes contraintes sanitaires sont en vigueur - que de marcher dans nos rues pour faire des courses de Noël. Avec ce nouvel accès d'autoritarisme, l'atteinte aux libertés individuelles franchit quant à elle une étape inquiétante. Astreints au respect d'un petit manuel de comportement unique au monde, nous voilà menacés si nos lieux de vacances dérogent aux consignes. Quelle sera la prochaine étape? Plus que tout, cette dernière trouvaille traduit une extraordinaire inversion des priorités. Submergés par l'immigration, frappés par le terrorisme islamiste, nous avons toujours refusé de fermer nos frontières au nom de nos idéaux. On mesure chaque jour, parfois tragiquement, ce qu'il nous en coûte. Allons-nous les rétablir pour contrôler les vacanciers en anorak?

Le gouvernement mériterait sans doute quelques circonstances atténuantes si cette frénésie était la contrepartie d'une protection exceptionnelle. Il n'en est, hélas, rien. Sur le plan sanitaire, nous payons un tribut particulièrement lourd à la pandémie. Sur le plan économique, nous sortirons collectivement exsangues de la crise sanitaire. Pareil résultat ne justifie pas tant d'accrocs à la démocratie.

 

Edito du 30 novembre 2020

Article 24: «Un désordre inutile» [Yves Thréard]

Le fameux article 24 sera donc réécrit. La formule est commode. Elle n'éclaire pas pour autant le sort qui sera fait à cette disposition relative à la diffusion malveillante d'images de forces de l'ordre. Nouvelle rédaction, suppression, transposition dans un autre texte? Le flou subsiste et la polémique n'est sans doute pas terminée. Comme d'habitude, la gauche et ses relais médiatiques vont continuer le combat. On ne peut que le déplorer, surtout quand celui-ci est le prétexte à des déchaînements de violence, comme samedi dernier à Paris. Certes, la liberté d'informer est une valeur cardinale de notre démocratie, mais la sécurité est aussi la condition de notre liberté. Elle figure même en tête des priorités d'une large partie des Français.

Rien de tout ce tohu-bohu n'aurait dû arriver. L'article 24 n'avait pas lieu d'être puisque notre législation suffit à protéger policiers et gendarmes dans l'exercice de leurs fonctions. S'entêter à vouloir le conserver était inutile. Le risque était grand de donner la parole à la rue à l'heure où de regrettables brutalités policières étaient constatées et de diviser une majorité présidentielle venant de tous les horizons. Gérald Darmanin veut incarner l'ordre. Les maladresses répétées du ministre de l'Intérieur dans l'explication de texte ont pourtant, en quelques jours, fini par créer le désordre.

Il est à souhaiter que la volonté du chef de l'État de s'engager avec fermeté sur le front régalien reste intacte. C'est le point faible de son quinquennat alors que la menace terroriste est extrême, que la délinquance progresse, que les colères sont nombreuses dans le pays, que l'autorité de l'État est souvent mise à mal.

Même vidée de son article 24, la loi sur la sécurité globale est nécessaire pour préciser les missions de tous les acteurs, publics et privés, de la sécurité. Très prochainement est aussi attendu le projet sur le séparatisme, qui vise à lutter contre l'islamisme radical. L'exécutif ne devra pas avoir la main qui tremble. La crise de nerfs actuelle a semé le trouble. Emmanuel Macron doit désormais rassurer les Français dans ce climat délétère.


 

Edito du 29 novembre 2020

 «Le grand délitement» [Vincent Trémollet de Villers]

Deux images et des pluies de coups. Un homme tabassé par des policiers pendant plusieurs minutes, un policier lynché en fin de manifestation. Cette violence décuplée par l'émotion et nos représentations numériques doit collectivement nous alerter, elle ne doit surtout pas nous aveugler. Non, la France n'est pas une dictature, dont Antoine Griezmann serait un dissident ; non, les black blocs, qui, à chaque manifestation, sèment la terreur, ne justifient pas la pantomime législative de la loi sur la sécurité globale. L'infernale étreinte entre force du chaos et parti de l'ordre à laquelle on assiste depuis le mouvement des «gilets jaunes» se traduit dans les mots, par une surenchère sécuritaire ; dans les faits, la violence n'a pas reculé d'un centimètre. Preuve de ce décalage entre le discours et les choses, l'entêtement du gouvernement à maintenir son article 24 absolument inutile au regard de nos lois. Pendant ce temps, des délinquants volent des engins de chantier pour détruire méthodiquement des caméras de surveillance, des sauvageons lancent des cocktails Molotov sur le commissariat d'une paisible ville de province, des islamistes préparent leurs nouveaux crimes. Impuissants face aux périls concrets de l'insécurité, nos pouvoirs publics compensent leur inquiétante faiblesse par la frénésie législative et son cortège de polémiques médiatiques. Pour finir, ces demi-habiles se montrent intraitables avec ceux qui sont incapables de nuire. Pour les braves gens, les libertés élémentaires, comme vient de le reconnaître le Conseil d'État, sont bafouées. Selon que vous serez catholique ou antifa…

L'article 24, en réalité, devrait moins occuper nos esprits que la crise de l'autorité qui ébranle notre pays. Le policier qui déshonore son uniforme, le casseur qui souille sa manifestation en sont les plus graves symptômes. Mais les lâchetés publiques face à la violence ordinaire, la faillite de l'école, la dislocation des sociabilités, la bureaucratie ne sont pas moins coupables. Quand l'autorité ne repose plus que sur le décret, elle recueille l'indiscipline dans les faits.


 Edito du 27 novembre 2020

Loi sur la sécurité globale : «Désolant spectacle»

En février dernier, Emmanuel Macron avait lancé à ses députés: «Soyez fiers d’être des amateurs!» Il entendait ainsi répliquer à son prédécesseur qui se moquait de leur inexpérience. Sous-entendu: François Hollande peut toujours parler, lui qui a essuyé la fronde de ses parlementaires en maintes occasions, notamment sur la déchéance de nationalité, feuilleton affligeant…

Le chef de l’État doit aujourd’hui se mordre les doigts d’avoir été un peu léger en la circonstance. Le pataquès provoqué par la loi sur la sécurité globale témoigne d’un amateurisme certain, aussi inquiétant que ridicule, qui n’a rien à envier aux socialistes. Le ratage est total. Ce travail de gribouille met la majorité, gouvernement compris, sens dessus dessous.

Le texte de loi en question serait presque passé inaperçu s’il n’avait comporté une disposition censée protéger policiers et gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions. C’est le fameux article 24. Lequel a tous les défauts. Il est inutile, car la législation existante suffit à condamner ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre. Il est maladroit, car il peut être interprété comme une remise en question du droit d’informer. Il a été rendu incompréhensible, car le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a dit tout et son contraire sur le sujet. Il tombe, enfin, au plus mauvais moment, car une bavure policière d’une violence inouïe fait la une de l’actualité depuis 48 heures. Pour compléter le tableau, le premier ministre, Jean Castex, et le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, se chamaillent pour savoir comment sortir de l’impasse.

Emmanuel Macron doit se sentir bien seul. Lui qui voulait se donner une image régalienne et se réconcilier avec les forces de sécurité, en quête de soutien alors qu’elles ne sont pas ménagées, se retrouve pris dans un piège plus que fâcheux. À l’heure où frappe le terrorisme islamiste, où explose la violence et s’expriment des colères incontrôlées, les Français ne peuvent que regarder ce spectacle avec désolation. Jouer avec leur protection, c’est jouer perdant.

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