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Au jour le jour
30 novembre 2020

COVID-19

Pierre Manent: «Une offense délibérée à l’Église catholique»

TRIBUNE - Le philosophe, qui occupe une place éminente dans le paysage intellectuel français, exprime sa très vive réprobation devant l’attitude de l’exécutif sur l’affaire de la «jauge» dans les églises et en dégage les enseignements.

Pierre Manent. Illustration Fabien Clairefond

Disciple de Raymond Aron, dont il fut l’assistant au Collège de France, directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales, Pierre Manent s’est en particulier consacré à l’étude des formes politiques - tribu, cité, empire, nation - et à l’histoire politique, intellectuelle et religieuse de l’Occident. Plusieurs de ses ouvrages, tels Histoire intellectuelle du libéralisme et Les Métamorphoses de la cité, sont des classiques.


La scène de comédie, fort peu amusante, qui vient de se dérouler à propos de la réouverture des cultes, est révélatrice du triste état de notre vie publique.

Le gouvernement avait proposé une «jauge» évidemment impraticable, et si ridicule qu’elle était une insulte à l’égard de ceux qui étaient supposés s’y plier. Le président, qui l’avait, à la surprise générale, reprise dans son intervention du 24 novembre, fit savoir le soir même au président de la Conférence des évêques de France qu’elle serait revue et qu’une nouvelle jauge plus réaliste serait proposée par le premier ministre le jeudi 26. Point ne voulut le premier ministre, qui confirma la limite de trente participants quelles que soient les dimensions du lieu de culte. Ainsi le président, qui disait vouloir «réparer»les relations entre l’Église et l’État, se fait-il l’auxiliaire mi-honteux d’une offense délibérée à l’Église catholique, qui de tous les cultes est la plus concernée par ces mesures et à qui l’on déclare en face: nous nous moquons royalement des droits et des souhaits des fidèles.

Le premier ministre est le porte-parole empressé d’un État dont l’impuissance chaque jour plus visible à faire face aux problèmes du pays est compensée par un autoritarisme croissant s’exerçant de préférence, ou plutôt exclusivement, sur ceux qui sont jugés trop faibles ou trop soumis pour se défendre.

J’ai dénoncé en son temps la brutalité mécanique du premier confinement, le recours immédiat à la surveillance policière la plus mesquine, et la transformation quasi instantanée du gardien de nos libertés en vérificateur vétilleux de notre obéissance. On ne sortirait pas aisément d’une situation qui permettait à l’organe exécutif de la nation de retrouver le bonheur oublié d’être enfin obéi. De bons esprits jugèrent ces craintes infondées. Nous y sommes pourtant.

Un État qui s’est révélé incapable de conduire aucune démarche un peu active de politique sanitaire, ne sait que revenir à l’immobilisation générale, compensée par des traites illimitées tirées sur l’avenir. Tout cela en appelant chacun à la «responsabilité».

Nous sommes parvenus à un état social et moral où la religion a été pour ainsi dire chassée de la vie commune

Le même État se croit autorisé par l’urgence sanitaire à effacer la vie religieuse du paysage collectif. Sur nos attestations, pas une ligne pour autoriser à se rendre dans un lieu de culte. En dépit des protestations les mieux fondées, l’État persista dans son refus de faire la moindre place à la vie religieuse dans le document dont chaque Français est tenu de se munir. Comment expliquer cela?

D’abord, un calcul politique aussi vieux que la République est à l’œuvre. Compte tenu de l’histoire de notre pays et du rapport des forces politiques, cela ne peut pas faire de mal de traiter rudement les catholiques et de montrer ainsi que l’on est du bon côté des Lumières. C’est l’aspect le plus superficiel, sinon le plus glorieux, de la situation.

Surtout, nous sommes parvenus à un état social et moral où la religion a été pour ainsi dire chassée de la vie commune. On accorde à chacun le droit de croire ce qu’il veut, mais dès que la religion se manifeste dans l’espace public, elle suscite non pas nécessairement une hostilité active mais plutôt une morne aversion, un rejet paresseux mais implacable. L’ignorance en matière de religion est devenue un fait politique majeur dans notre pays.

Accorder à la République une autorité « supérieure », c’est faire de la laïcité une religion et de la République une Église. [...] ce n’est pas la règle de la laïcité

Comment parler raisonnablement de la place des religions ou de la laïcité quand l’opinion générale non seulement est très ignorante, elle l’a toujours été, mais n’a pas la moindre idée de ce dont il s’agit? Lorsqu’il y a quelques jours les catholiques ont commencé à manifester quelque impatience, on entendit sur les radios d’État les commentateurs accrédités parler avec assurance d’un pays qui leur est tout à fait inconnu. Manifestement ils n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe dans une église quand les fidèles se réunissent autour du prêtre pour la messe.

Cette fermeture à un aspect fondamental de la vie humaine s’est trouvée malencontreusement justifiée et consolidée par une interprétation de plus en plus exorbitante de la laïcité, selon laquelle la vie des religions se trouverait sous le commandement de l’État. La loi politique, la loi de la République, est la loi commune, la loi à laquelle sont tenus d’obéir les citoyens. C’est la loi la plus générale. Lui accorder une autorité «supérieure», c’est faire de la laïcité une religion et de la République une Église. Ce fut le souhait de certains «républicains», ce n’est pas la règle de la laïcité.

Les catholiques obéissent à la loi de la République dont ils sont les citoyens. Ils sont attachés à leur foi et à leur Église comme à la forme même de leur vie. Ils ne demandent rien d’autre à la République que de continuer à jouir de la liberté de «vivre en Église». Ils n’appartiennent pas à une humanité-enfant qui n’aurait pas encore accédé à la maturité. La condescendance avec laquelle ils sont traités ne fait pas honneur au gouvernement de la République.

 

 

Covid-19: la bureaucratie française en folie

ENQUÊTE - Décisions ubuesques, réglementations kafkaïennes ou tatillonnes, gabegie de l’argent des contribuables... Les deux confinements imposés au pays ont mis au jour des errements typiquement français. Revue de détail des bévues de nos pouvoirs publics et de leurs administrations.

Olivier Véran, Gérald Darmanin, Jean Castex et Bruno Le Maire. photomontage : LUDOVIC MARIN/AFP ; Julien Mattia/Le Pictorium/Maxppp

Le délire bureaucratique français, ce sont les Allemands qui en parlent le mieux. La description de notre «Absurdistan autoritaire» décrit par Annika Joeres, la correspondante à Paris de Die Zeit, publiée le 12 novembre sur le site de l’hebdomadaire, reflétait si fidèlement les mille et une contraintes de notre confinement que tous les médias de l’Hexagone s’en sont fait l’écho. De la distinction entre commerces «essentiels» ou «non essentiels» à l’attestation de déplacement - une exclusivité mondiale -, comment en est-on arrivé là?

Les commerçants, qui ont recommencé à respirer depuis les annonces d’Emmanuel Macron, mardi, ont été les premières victimes de ce délire qui prospère sur deux travers très français: l’autoritarisme et la bureaucratie centralisée.

Si les fermetures décidées dans le cadre du deuxième confinement ont fait débat jusqu’au bout, la notion de «commerce non essentiel» a très rapidement été considérée comme une «maladresse», y compris par ceux qui l’ont employée, comme le ministre de la Santé Olivier Véran. Mais impossible de savoir si l’idée d’y recourir a germé dans son ministère ou ailleurs. «C’est une catégorie qui existe dans la nomenclature administrative», se défend un des acteurs du dossier. Et la fermeture des rayons «non essentiels» des grandes surfaces? «C’est un bug dans la décision de fermer les commerces qui a été provoqué par le choix de la Fnac de laisser ouverts ses rayons de livres, nous explique-t-on. En vingt-quatre heures, tous les commerçants de France étaient au courant. Du point de vue de l’équité, il était impossible de faire autrement, sauf à remettre en cause l’arbitrage du président!»

Chaussettes, slips et mascara

L’annonce de la fermeture des rayons non essentiels des grandes surfaces a été faite par Jean Castex le 1er novembre au JT de TF1. Dès le lendemain, la cellule interministérielle de crise, dirigée à Matignon par Nicolas Revel, était en ébullition. La haute administration française compte dans ses rangs des producteurs compulsifs de normes qui ne demandaient pas mieux que de se pencher sur le cas des chaussettes, des slips et du mascara.

À l’inverse, la décision de rouvrir les commerces, elle, a complètement échappé à la sphère bureaucratique. Et pour cause: elle a été défendue conjointement par Olivier Véran et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui se sont mis d’accord pour adopter une position commune lors du Conseil de défense qui a précédé. Les deux hommes ont beau diverger parfois sur la gestion de la crise (Le Maire est celui qui a le plus défendu les commerçants) ils se respectent et s’entendent bien. Le ministre de la Santé était prêt à rouvrir avant le 1er décembre, mais craignait que le Black Friday ruine les bénéfices du confinement. Le ministre de l’Économie lui a répondu qu’il en faisait son affaire. En trois jours, il est parvenu à convaincre la grande distribution puis le commerce en ligne de reporter l’opération de promotion la plus juteuse de l’année.

La crainte d’une révolte des commerçants et des artisans a aussi beaucoup joué dans les décisions annoncées mardi par Emmanuel Macron

La crainte d’une révolte des commerçants et des artisans a aussi beaucoup joué dans les décisions annoncées mardi par Emmanuel Macron. Outre leur coût, les fermetures faisaient courir à l’exécutif le risque d’une «crise des “gilets jaunes” puissance dix», selon la formule d’un membre du gouvernement, qui souligne que «les commerçants sont plus populaires et disposent de plus de relais» que le mouvement des ronds-points.

Ils l’ont d’ailleurs prouvé en faisant, filière par filière, le siège des ministères dont ils dépendent pour obtenir des dérogations. Frédéric Naudet, président de l’Association française du sapin de Noël naturel, se rappelle la consternation de la profession quand la décision du confinement est tombée: «Les commandes nous avaient déjà été passées, on avait engagé les frais accessoires pour acheter les palettes et tout le matériel, on devait commencer à couper les arbres.» Six millions de sapins sont vendus chaque année en France et les producteurs font leur chiffre d’affaires sur à peine plus d’un mois. Le «décret sapin», paru la semaine dernière, les a sauvés. «Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture, s’est bien battu», se félicite Naudet. La mobilisation des élus des départements concernés a pesé: le sapin est un sujet sensible, comme l’a appris à ses dépens Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, qui voulait s’y attaquer.

Double peine

Pour les producteurs de fleurs coupées et de plantes décoratives, en revanche, c’est la double peine. «Emmanuel Macron a dit que l’agriculture devait continuer, mais il nous a supprimé tous les créneaux de distribution, explique Marie Levaux, présidente de la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et de la pépinière. Résultat, on travaille, parce qu’on n’a pas droit au chômage partiel, mais on jette notre production, parce qu’on ne peut plus la vendre. C’est un non-sens économique et un crève-cœur.» La filière vient juste d’obtenir 25 millions d’euros de compensation pour le premier confinement, soit la moitié à peine de la valeur des stocks qu’elle a dû détruire au printemps.

À VOIR AUSSI - Covid-19: la parole gouvernementale est-elle encore crédible?

«Une commission venant de conclure que l’eau ça mouille, nous avons finalement le droit de vendre des parapluies.» De toutes les (nombreuses) piques lancées au gouvernement depuis le début de la croisade contre les «produits non essentiels», c’est sans doute la campagne virale lancée par Monoprix la semaine dernière qui remporte la palme. Impossibilité d’acheter une paire de chaussettes ou un oreiller en faisant ses courses, alors que le rayon casseroles, lui, est en zone verte. Cette situation abracadabrantesque n’aura fait que jeter de l’huile sur le feu, ajoutant de l’agacement et de l’incompréhension à l’atmosphère anxiogène liée aux risques sanitaires. Et les employés de Monoprix de constater que des bandeaux ou des bâches en plastique n’ont que très peu d’effets pour dissuader les clients. «Ils se présentent quand même en caisse avec les articles, nous affirment l’un d’entre eux, employé dans une enseigne du centre de Paris. Et quand on refuse de les passer, certains s’énervent, alors qu’on ne peut rien y faire.»

Pourtant, depuis le reconfinement, les forces de l’ordre ont dressé plus de 100.000 procès-verbaux « pour non-respect des conditions de circulation »

Parmi les autres règles ubuesques, l’interdiction d’exercer pour les coiffeurs alors que les sex-shops, eux, sont toujours ouverts. À l’instar des enfants de plus de 3 ans qui sont priés d’arrêter de grandir (leurs habits n’étant pas jugés «essentiels» contrairement à ceux de leurs cadets), les cheveux aussi devaient se garder de pousser ces dernières semaines. «On croit rêver», nous confie la patronne d’un salon de coiffure qui souhaite rester anonyme. «On avait tous rouvert les salons en installant des mesures hygiéniques comme il fallait et en diminuant les rendez-vous.» Sur le répondeur du salon qui annonce la fermeture, la coiffeuse laisse donc un e-mail pour la contacter. «Les gens sont malins: ils envoient un mail, et je propose des rendez-vous à domicile. C’est encore moins hygiénique puisque je passe d’un domicile à l’autre toute la journée, mais au moins je bosse.» Quid des contrôles? «En trois semaines, je n’ai pas été contrôlée une seule fois.»

Pourtant, depuis le reconfinement, les forces de l’ordre ont dressé plus de 100.000 procès-verbaux «pour non-respect des conditions de circulation», dont 12.000 en 24 heures. Si la plupart n’ont pas été contestés, d’autres ont marqué les esprits par leur absurdité ou leur absence totale d’opportunité. Comme par exemple aux Lilas et à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), où deux libraires dont l’activité ne se maintient que grâce au «click and collect» ont reçu chacun une amende de 135 euros pour des tables de retrait des commandes «non conformes». À Strasbourg, pendant une manifestation «pour la messe», la préfecture, que l’on a vu moins ferme au cours des traditionnels incendies de voitures de la Saint-Sylvestre dans les quartiers sensibles, n’a pas hésité à interdire à des familles «de prier, même en silence». Dans le même temps, à Marseille, le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Emmanuel Barbe, déclarait sans rire avoir constaté au cours d’une opération «dans des endroits où l’on vend de la drogue», que «personne parmi les acheteurs, et à plus forte raison parmi les vendeurs, n’avait d’attestation.» Ubu est roi, vous dit-on.

Centralisme bureaucratique

Ces rigidités et incohérences édictées par l’administration n’ont pas seulement un côté ubuesque, kafkaïen ou fantaisiste à la Prévert. Bien plus grave: elles ont aussi plombé la gestion de la crise sanitaire dans les hôpitaux. «Nous sommes saisis en urgence trois fois par jour», constate Alain Lambert. L’ancien ministre du Budget est aujourd’hui le patron du Conseil national d’évaluation des normes. En première ligne, donc, face aux absurdités du centralisme bureaucratique à la française. Il cite l’exemple de «ce malade qui est transporté d’un hôpital public vers une clinique privée, mais dont l’ambulance doit rebrousser chemin parce que les formulaires ont été mal remplis. Ils sont repartis en sens contraire avec le malade pour obtenir l’autorisation en bonne et due forme».

La paralysie bureaucratique s’explique d’abord, selon lui, par un problème de méthode. «Le pays n’avait qu’un seul objectif à atteindre: empêcher la saturation des services d’urgence et de réanimation, mais les moyens pour y parvenir pouvaient être ouverts au débat.» Autrement dit, il fallait laisser les initiatives locales trouver des solutions locales.

La loi a été écrite à la ­demande des syndicats de l’hôpital public pour empêcher les partenariats entre le ­public et le privé

Alain Lambert, ancien ministre du Budget et patron du Conseil national d’évaluation des normes

Mais, la plupart du temps, le légalisme tatillon des chefs de bureau et l’hypercentralisation du commandement administratif ont eu le dessus. Parfois, l’obstacle est législatif, mais la loi est toujours appliquée avec un zèle qui augmente encore ses effets. C’est le cas sur les relations entre l’hôpital public et les cliniques privées. «La loi a été écrite à la demande des syndicats de l’hôpital public pour empêcher les partenariats entre le public et le privé», explique Lambert. «Si on a malgré tout constaté une entraide cette année, c’est parce que les directeurs d’hôpitaux se connaissaient et qu’ils ont fait fi du risque d’être dénoncés pour faute professionnelle», poursuit l’ancien ministre, qui se souvient n’avoir reçu l’autorisation de créer un centre de soin public-privé dans son département de l’Orne qu’à condition de ne pas faire travailler ensemble les salariés du public et les libéraux. «On m’a finalement demandé de créer deux accès différents pour qu’ils ne se croisent pas!» Pendant la pandémie du mois de mars, on a ainsi vu des trains et des avions acheminer des malades très loin de chez eux, «alors que des cliniques privées à côté auraient pu les accueillir».

Effets secondaires dangereux

Les embarras bureaucratiques ont été particulièrement criants lors de la campagne d’achat de masques et de machines pour réaliser des tests PCR. Là aussi, le code des marchés publics impose des procédures par temps calme. «Quelque 20.000 respirateurs avaient été commandés en urgence, mais quand ils sont arrivés, on a découvert qu’il s’agissait de modèles miniatures. Je vous laisse imaginer la tête des médecins réanimateurs quand ils les ont vus arriver. Aujourd’hui, ils dorment dans un hangar», raconte le Pr Christian Perronne, chef de service à l’hôpital de Garches. De même, le choix d’acheter «pour plus d’un milliard d’euros d’appareils PCR était en fait une erreur, car ils sont trop sensibles et détectent trop de faux positifs tout en n’apportant de réponse que trop lentement», continue-t-il. «Quant à l’achat du remdésivir pour un milliard d’euros, c’est une autre gabegie: on sait que ce médicament a des effets secondaires très dangereux, et l’OMS l’a confirmé récemment. Pourtant, l’agence du médicament a donné son autorisation en urgence», regrette Perronne.

Que faut-il faire en période de crise? «Je ne vois pas d’autre solution que d’alléger la responsabilité des fonctionnaires pour leur permettre de prendre des décisions dans l’urgence», avance Alain Lambert, qui propose une disposition inspirée du droit canadien: «Le fonctionnaire informe sa hiérarchie de sa décision, et elle n’a que huit jours pour le sanctionner s’il a mal agi, ensuite sa décision est prescrite.» Cela permettrait de ne pas décourager les initiatives de bon sens. «Il faut aussi créer des critères d’évaluation des fonctionnaires qui tiennent compte de la réaction rapide aux événements, et pas seulement de la légalité», conclut-il. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas encore été entendu. «Face à ces blocages, le pouvoir politique n’a pas tapé sur la table, mais il est vrai que l’administration se sent de moins en moins dépendante d’un pouvoir qui n’a plus prise sur elle», admet de son côté un haut fonctionnaire.

«Le» sujet tabou

Les effets d’annonce absurdement mis en œuvre font aussi partie des folies administratives françaises. À la sortie du premier confinement, l’AP-HP décide d’accorder une prime de 1500 euros pour tous les personnels soignants qui ont fait face à l’afflux des malades de la Covid-19. Mais, très vite, la mesure appliquée à l’aveugle ne cible qu’une part infime du personnel mobilisé. «Cette prime était destinée seulement à ceux qui ont travaillé en mars, mais pas à ceux qui ont travaillé du 15 mars au 15 avril ni ceux qui sont venus aider alors qu’ils habitaient dans un autre département», raconte le Pr Peyromaure, chef de service à la Salpêtrière et auteur d’Hôpital, ce qu’on ne vous a jamais dit… «En revanche, ceux qui, comme moi, étaient chez eux parce qu’ils ne pouvaient plus exercer leur spécialité ont aussi reçu la prime!»

Le Pr Peyromaure, qui pourtant travaille pour l’hôpital public, juge sévèrement l’approche des médecins du Conseil scientifique et des instances du ministère de la Santé: «Ils sont dans leur monde, payés par la puissance publique, ils ne s’intéressent pas aux effets économiques désastreux du confinement et ils n’envisagent pas en priorité des procédures qui cherchent à sauver aussi l’économie.» Car le prisme bureaucratique prime dans toutes les décisions prises, qu’il s’agisse de l’organisation de la riposte à la pandémie ou de l’indemnisation de l’économie. «Chaque année, il y a 600.000 morts, et on met un pays par terre pour en sauver 30.000, c’est irresponsable», ose-t-il affirmer à propos de ce sujet tabou dans le débat public.

 

*

«Le reconfinement banalise un état d’exception hautement liberticide»

FIGAROVOX/TRIBUNE - La politique ne se réduit jamais uniquement au nombre de vies sauvées, même en temps de pandémie, rappelle Mathieu Slama. L’enseignant s’inquiète du fait que des médecins et des experts non-élus aient un contrôle aussi étroit sur les décisions politiques.

Publié le 3 novembre 2020 à 16:02, mis à jour le 3 novembre 2020 à 16:02
 

Mathieu Slama est enseignant à l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication.


C’était sur la radio France Inter, le 29 octobre 2020. L’invité de la matinale est le professeur immunologue Jean-François Delfraissy, qui déclare que les fêtes de fin d’année «seront différentes, elles se feront en petit comité et probablement sous le couvre feu».

Jean-François Delfraissy est le président du conseil scientifique, instance mise en place le 11 mars dernier par le ministre de la Santé Olivier Veran pour guider le gouvernement dans sa politique de réponse au covid-19. Il est composé de treize experts: épidémiologistes, infectiologues, immunologues mais aussi sociologues et anthropologues.

C’est donc au nom de ce conseil scientifique que Delfraissy s’exprimait sur France Inter. On apprenait donc, à la faveur de cette surprenante interview, que cette instance, non-élue et donc sans aucune légitimité démocratique, a le pouvoir de décider de quelle manière les Français passeront les fêtes de fin d’année.

Le conseil scientifique a rendu depuis sa mise en place 21 avis (tous consultables sur le side du ministère de la santé). C’est dans une note d’alerte publié le 22 septembre (intitulée sans ironie «mieux vivre avec le virus», on notera l’euphémisme…) que celui-ci recommande, parmi plusieurs options, la mise en place d’un couvre feu.

On s’étonne du peu de voix qui s’érigent contre cette aberration anti-démocratique, en particulier à gauche

On sait aussi que le conseil scientifique pousse depuis des mois le gouvernement à prendre des mesures plus contraignantes (entendons: restrictives pour les libertés) pour lutter contre le virus. L’idée d’un reconfinement local a été, selon de nombreux observateurs, défendue corps et âme par plusieurs membres de ce comité scientifique, dont Delfraissy qui appelait, lors d’un entretien sur RTL le 26 octobre, le gouvernement à prendre des mesures fortes et rapides. Le même Delfaissy juge le reconfinement d’un mois insuffisant au regard des objectifs de réduction des contaminations quotidiennes, estimant (toujours sur France Inter) qu’il faudra un couvre-feu jusqu’à janvier.

Le fait qu’une instance d’experts, nommée par le gouvernement, puisse avoir une influence aussi grande dans l’adoption de telles mesures inédites en matière d’atteintes aux libertés fondamentales devrait inspirer à tout démocrate une certaine inquiétude sur ce que certains appellent «dictature sanitaire», mais que nous appellerons plus raisonnablement «régime bureaucratique», régime où les experts et bureaucrates décident à la place des représentants du peuple. Pourtant, on s’étonne du peu de voix qui s’érigent contre cette aberration anti-démocratique, en particulier à gauche où, mis à part François Ruffin et tout récemment Jean-Luc Mélenchon, les voix ont été bien silencieuses. Quand on compare ce silence à la multitude de réactions de la gauche intellectuelle et politique face aux mesures prises par le gouvernement contre des associations islamistes, on se dit qu’il y a là un sens des priorités bien particulier…

L’idée d’un reconfinement est bien plus grave que la première décision de confinement. La raison en est simple: elle acte, par la répétition de la décision, une normalisation d’un état d’exception hautement liberticide. Cette normalisation signifie qu’il est désormais acceptable, pour un gouvernement, de prendre des décisions qui mettent en jeu nos droits fondamentaux à chaque période de crise. Le philosophe italien Giorgio Agamben alertait de manière prophétique en mars 2020 face aux mesures mondiales de confinement: «L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale». Nous y sommes.

Toute chose égale par ailleurs, ce conseil scientifique est une sorte de comité de salut public adapté à l’époque du covid, cette époque morne et morbide où la peur domine tout et autorise le gouvernement à bafouer les règles élémentaires du contrat social. Au regard de décisions aussi graves qu’un couvre feu ou, a fortiori, un confinement, la moindre des choses eût été, pour le gouvernement, de soumettre ces questions à débat, au Parlement et pourquoi pas par référendum, plutôt que de décider dans l’opacité la plus totale lors d’un conseil de défense (qui a aujourd’hui peu ou prou remplacé le conseil des ministres).

Les médecins et experts (...) n’ont donc aucune légitimité pour décider de mesures politiques.

Les médecins et experts ne sont pas, jusqu’à preuve du contraire, élus par le peuple. Ils n’ont donc aucune légitimité pour décider de mesures politiques. Leur rôle doit être de conseiller ; le gouvernement, avec les institutions législatives, doit décider et voter au regard de critères qui ne peuvent être seulement ceux qui préoccupent les médecins, dont l’unique préoccupation est de sauver des vies. La politique ne se réduit pas, même en temps de grave pandémie, à cette seule donnée.

Elle doit prendre en compte tout un tas de questions tout aussi - voire plus - fondamentales, comme les libertés publiques ou encore la situation sociale et économique du pays. Bref, le champ du politique n’est pas celui de la science ou du médecin. Il est dangereux de donner autant de pouvoir à des médecins qui, notons-le, ne sont même pas d’accord entre eux, sans parler des possibles conflits d’intérêt qui jettent un soupçon (pas toujours légitime, mais compréhensible) sur leur parole.

N’ayons pas peur des mots: dans le monde du coronavirus où un conseil scientifique peut influer sur la décision d’enfermer toute une population pendant un mois, où la police arpente les rues pour traquer les récalcitrants, où il faut remplir une attestation pour espérer bénéficier d’une autorisation de sortie, dans ce monde-là, nous ne vivons plus pleinement en démocratie.

Il est décourageant, et le mot est faible, de constater combien la réaction politique est faible, mais surtout combien le peuple français semble apathique face à cette grande régression. Tous les sondages indiquent que dans leur majorité, les Français plébiscitent les mesures restrictives comme le couvre feu ou le confinement. En homme intelligent, Emmanuel Macron a décidé le reconfinement parce qu’il savait que l’opinion publique y était préparée.

Ce qui est essentiel pour tel homme ne l’est pas pour un autre. Ce n’est pas au gouvernement d’en décider

Une sorte d’esprit d’obéissance, ou du moins de passivité, s’est installé en France face aux mesures d’exception prises par le gouvernement. Des mesures qui, rappelons-le, réduisent non seulement les libertés mais accroissent aussi les inégalités. Nous ne sommes pas tous égaux face au confinement, selon que l’on peut télétravailler ou non, selon que l’on a une maison secondaire ou non, selon que l’on travaille dans des conditions difficiles ou non, selon que l’on est en bonne santé ou non…

Il est aussi insupportable, dans un pays de culture libérale comme la France, de voir des secteurs jugés essentiels et d’autres non par le gouvernement et les experts. Ce qui est essentiel pour tel homme ne l’est pas pour un autre. Ce n’est pas au gouvernement d’en décider. La polémique autour de la fermeture des librairies démontre toute l’absurdité de cette démarche. La lecture n’est peut-être pas essentielle pour certains, mais la survie des libraires, elle, est bel et bien essentielle, surtout face à la menace Amazon qui pèse sur eux depuis des années.

Ces mesures liberticides sont provisoires, nous disent leurs défenseurs. Encore heureux, a-t-on envie de leur répondre. Que diraient-ils si on décidait, provisoirement, de rompre avec le principe d’égalité devant le droit? Ou encore avec le principe d’une justice indépendante ou impartiale? Ou encore avec le principe d’État providence et de redistribution? Ils ne l’accepteraient certainement pas.

Une étape a été franchie avec cette décision de reconfinement. Elle constitue un précédent gravissime sur lequel il sera possible, dans les moments de trouble qui nous attend, de restreindre de manière arbitraire nos libertés. Les périodes de crise sont souvent des moments de vérité: c’est ainsi qu’il faut appréhender la période que nous traversons, et c’est la raison pour laquelle nous devons être très inquiets.

 

«Vouloir arrêter une épidémie avec le confinement, c’est comme vouloir arrêter la mer avec ses bras»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Le confinement est une piètre stratégie pour lutter contre ce virus, analyse Jean-Loup Bonnamy. Il faudrait s’inspirer selon lui des pays asiatiques qui prônent le dépistage massif et l’isolement des seuls malades.

Publié le 6 novembre 2020 à 16:13, mis à jour le 9 novembre 2020 à 11:26
 

Normalien, agrégé de philosophie, Jean-Loup Bonnamy est spécialiste de géopolitique et de philosophie politique. Il vient de publier, avec Renaud Girard, Quand la psychose fait dérailler le monde (collection «Tracts», Gallimard, 3,90 €), où il critique le confinement, propose une stratégie sanitaire alternative, annonçait la seconde vague ainsi que la nécessité d’armer les hôpitaux pour y faire face.


FIGAROVOX. - Ce nouveau confinement permettra-t-il d’endiguer la seconde vague, alors que vous dénonciez l’archaïsme et l’inefficacité sanitaire du confinement du printemps dernier dans un court essai paru dans la collection «Tracts» de Gallimard?

Jean-Loup BONNAMY. - Je ne le pense pas. Ma principale critique contre le confinement est d’ordre sanitaire: le confinement n’est pas très efficace pour sauver des vies et désengorger les hôpitaux.

C’est un remède passéiste et archaïque, une sorte de ligne Maginot. Au début du XIXe siècle, le grand écrivain Pouchkine décrivait déjà le confinement imposé par les autorités russes pour lutter (sans succès) contre l’épidémie de choléra. Je suis assez surpris qu’en 2020, à l’époque d’Internet, dans un pays moderne qui se trouve être la sixième puissance mondiale, on utilise un remède qui fait davantage penser au début du XIXe siècle qu’à l’ère du big data. Je ne suis donc pas sûr que le confinement soit le meilleur choix sur le plan sanitaire. D’ailleurs aucune preuve scientifique de son efficacité n’existe. Même l’OMS (qui avait beaucoup appuyé le confinement au printemps) déconseille aujourd’hui le recours au confinement.

Relisez aussi Le Hussard sur le toit de Giono, qui se déroule en Provence durant l’épidémie de choléra de 1832 et vous verrez que le confinement marche mal. En effet, le bon sens voudrait qu’on sépare les malades des non-malades afin d’éviter la contagion. C’est la base de la médecine moderne et du traitement des maladies infectieuses (diagnostiquer/isoler/soigner). Or, dans le confinement, cette logique de séparation et de mise à l’isolement n’est absolument pas respectée.

Au contraire, on enferme ensemble des malades et des non-malades, facilitant parois ainsi la propagation du virus. C’est d’ailleurs ce qu’on a constaté dans les Ehpad: le confinement risque de diffuser la maladie chez les plus fragiles et d’aboutir à une hécatombe. Le précédent du bâteau de croisière japonais Diamond Princess(où plus de 712 personnes furent contaminées) devrait nous alerter sur le danger de confiner ensemble des malades et des non-malades.

80 % des contaminations ont lieu dans le cercle familial et (...) la contamination en extérieur, à l’air libre, est presque impossible

Fermer les petits commerces ou empêcher les gens de sortir dans la rue sans attestation est assez inutile puisque 80 % des contaminations ont lieu dans le cercle familial et que la contamination en extérieur, à l’air libre, est presque impossible.

Cette faible efficacité sanitaire du confinement pour lutter contre le Covid-19 et sauver des vies est frappante lorsque l’on compare les pays. L’Argentine est confinée depuis le printemps et le nombre de morts du Covid y augmente encore. Au contraire, Taïwan (21 millions d’habitants) n’a pas confiné et n’a eu que sept morts! Les pays qui ont confiné longtemps au Printemps (Espagne, Italie, France, Belgique, Royaume-Uni…) affichent un nombre de morts très élevé. Au contraire, l’Allemagne, qui a fait le choix d’une autre stratégie avec un semi-confinement beaucoup plus souple, terminé plus tôt, mais un dépistage massif et une bonne qualité de soin, compte six fois moins de morts par habitants que la France. Les pays asiatiques qui font le choix du dépistage et de l’isolement des malades (7 décès à Taïwan, 400 en Corée, 107 à Hongkong…) comptent beaucoup moins de décès. Et ce sans même recourir au moindre confinement!

Vouloir arrêter une épidémie avec le confinement, c’est comme vouloir arrêter la mer avec ses bras. Le virus est une création de la nature. Si l’épidémie s’est arrêtée partout en Europe en mai (y compris en Suède, pays qui n’a pas confiné), c’est en grande partie pour des raisons naturelles. Si elle reprend aujourd’hui, ce n’est pas à cause d’un «relâchement» des Français ni d’un déconfinement trop rapide ni d’une perte de contrôle, mais pour des raisons naturelles. On nous dit aujourd’hui que l’épidémie est devenue hors de contrôle: ce n’est pas exact.

Certes, elle est hors de contrôle aujourd’hui, mais en réalité, elle l’a toujours été. On ne sait pas contrôler la propagation d’un virus respiratoire. Si elle s’est mise en sommeil à l’été, c’est pour des raisons indépendantes de notre action. C’est un fait bien connu que dans les régions tempérées comme l’Europe (ce n’est pas le cas dans les autres types de climats), les virus respiratoires sont plus contagieux et plus violents à la saison hivernale. C’est d’ailleurs cette saisonnalité des virus respiratoires qui nous a permis d’annoncer dans notre livre (avec raison, hélas) la survenue d’une deuxième vague et la saturation pour l’automne de notre système hospitalier. Et c’est pour cette même raison que je ne crois pas au confinement, car à ma connaissance il n’a pas la capacité d’agir sur le taux d’humidité ou le cycle des saisons.

Combien de confinements allons-nous vivre ?

Surtout, quand même bien le confinement marcherait, les contagions reprendraient très vite dès le début du déconfinement tant que l’hiver ne sera pas passé. Il faudrait donc reconfiner et ainsi de suite. Combien de confinements allons-nous vivre?

D’autres solutions seraient possibles, sans que le nombre de décès n’explose?

Oui. Je doute de l’efficacité des mesures générales. Prenons un exemple: les accidents de la route tuent un million de personnes par an, avec une moyenne d’âge bien plus basse que celle du Covid. Pourtant, on n’interdit pas la voiture pour autant. Mais on prend des mesures ciblées: réfection des routes, lutte contre l’alcoolémie, voitures plus solides et avec des airbags...Entre tout fermer et ne rien faire, il existe un juste milieu, qui est la seule attitude efficace: les mesures ciblées.

Autre exemple: au Japon, il existe un phénomène naturel très grave: les séismes. Les Japonais ont-ils eu l’idée bizarre d’empêcher les séismes? Bien sûr que non! Cela veut-il dire qu’on ne peut rien faire contre les séismes? Certainement pas! D’une part, les Japonais cherchent à détecter le mieux possible les tremblements de terre afin d’évacuer la population au plus vite, d’autre part, ils font des constructions antisismiques très robustes. Pour le virus, c’est la même chose.

Il est illusoire et irréaliste de penser qu’on va contrôler la circulation d’un virus respiratoire émergent dans un pays de 67 millions d’habitants. Ce serait comme vouloir empêcher les séismes. Mais cela ne signifie pas qu’on ne peut rien faire contre le virus. Bien au contraire. L’objet principal de mon essai est de dessiner une stratégie sanitaire alternative, sérieuse et crédible, inspirée de ce qui réussit à l’étranger et du retour d’expérience des soignants sur le terrain, une stratégie plus efficace que le confinement pour sauver des vies. Comme je l’ai dit, le danger du virus n’est pas sa (faible) mortalité, mais sa capacité à saturer les hôpitaux. Or, le confinement ne réglera pas ce grave problème de saturation hospitalière. Pour le régler, il n’y a que deux choses à faire.

D’une part, augmenter en urgence les capacités hospitalières. Il faut mobiliser l’armée (comme l’ont fait les Suédois), les cliniques privées, les médecins et infirmiers libéraux, les médecins et infirmiers récemment retraités, recruter des femmes de ménage (pour décharger les soignants de toutes les tâches non médicales, comme par exemple refaire les lits). Comme le propose le Docteur Kierzek, on pourrait aussi organiser les services différemment: plutôt que de mettre dans une même équipe cinq médecins-réanimateurs, éclatons le service en séparant les spécialistes et en plaçant autour d’eux des internes ou des infirmiers non spécialisés, mais coachés par le réanimateur. On multiplierait ainsi d’autant le nombre d’équipes de réanimation. Il nous faut plus de lits de réanimation (environ 20.000 au total) et aussi plus de lits conventionnels en soins intensifs.

Les Slovaques viennent de tester 75 % de leur population en un week-end !

D’autre part, il faut appliquer le tryptique tester - isoler - traiter. Il faut un dépistage de masse dans la société française: sur le lieu de travail, dans les Ehpad, dans les pharmacies...Les personnes à risque - que l’on peut identifier grâce au big data de l’assurance maladie - doivent être dépistées deux fois par semaine, avec des tests antigéniques (plus rapides et moins chers que les PCR). Ainsi les Slovaques viennent de tester 75 % de leur population en un week-end! Si on est malade, il faut être isolé dans un hôtel (comme le fait la Corée et comme le préconise l’Académie de médecine).

Surtout, il faut prendre en charge les malades le plus tôt possible, en leur donnant de l’oxygène, et si besoin des corticoïdes et des anticoagulants. Cela permet de faire s’effondrer le taux de décès et de passage en réanimation. Et ça peut se faire à domicile ou à l’hôpital, avec un personnel qui n’a pas besoin d’être très formé. Avec une telle méthode, on éviterait le confinement, on sauverait l’économie et surtout on aurait bien moins de morts du Covid!

La peur est mauvaise conseillère: le confinement est un remède pire que le mal?

Ma critique du confinement est bien sûr aussi économique et sociale. Le remède (le confinement) risque d’être bien pire que le mal (le Covid). Le bilan coûts-avantages du confinement (que tout gouvernement devrait faire avant de se décider) est largement défavorable au confinement. Durant le premier confinement, les violences conjugales ont augmenté de 40 %. La période a aussi été très dure pour les personnes atteintes de troubles psychiques et a multiplié les addictions et les dépressions.

Et la crise économique, ce sont des choses très concrètes: la récession, le chômage, l’appauvrissement généralisé, les faillites, les suicides, un pays exsangue...Le premier confinement a déjà jeté un million de Français en plus dans la pauvreté. Les bénéficiaires de l’aide alimentaire ont augmenté de 30 %. Le Secours populaire a vu exploser le nombre de demandes de repas et 45 % des gens qui sont venus étaient jusque-là inconnus de l’association.

Si le confinement était un essai médicamenteux, on l’arrêterait tout de suite à cause des effets secondaires terribles! Il ne s’agit pas d’opposer économie et santé, car les crises économiques dégradent notre santé et tuent aussi. 1929 l’a prouvé.

Surtout, le confinement et ses effets économiques menacent notre système hospitalier. En effet, c’est l’activité économique qui, grâce à des impôts et à des charges, finance notre système hospitalier. Si on contracte l’activité, il y aura moins de rentrées fiscales et donc moins d’hôpitaux, moins de lits, moins de respirateurs avec des soignants moins nombreux et moins bien payés! Pour sauver notre système hospitalier, il faut déconfiner au plus vite!

Vous décrivez aussi la «psychose» qui s’est emparée du monde depuis le début de l’épidémie: en fait-on trop avec ce virus?

Ce virus nous pose un énorme problème de santé publique, qui vient du caractère potentiellement suffocatoire de la maladie chez les patients à risque. Nos services de réanimation risquent d’être submergés. Mais en ce qui concerne la dangerosité du virus, elle reste faible. L’épidémie de Covid-19 est une épidémie banale, d’ampleur moyenne, comme l’humanité en a déjà connu des centaines. Chaque année, 60 millions de personnes meurent dans le monde (dont 600.000 en France). En 2020, le Covid-19 à lui seul ne fera pas bouger le chiffre de la mortalité mondiale.

La mortalité du Covid-19 est bien inférieure à 0,5 %. Sur les 1046 marins infectés du porte-avions Charles de Gaulle, aucun n’est mort. La mortalité de son cousin le SRAS, qui toucha l’Asie en 2003, était comprise entre 10 et 20 %. Celle de son autre cousin, le Mers saoudien est de 40 %. Celle d’Ebola oscille entre 60 et 90 %. Comme dans l’écrasante majorité des infections respiratoires classiques et contrairement à la Grippe espagnole de 1918 qui frappait principalement des jeunes, le virus tue surtout des personnes âgées. Que ferons-nous le jour où nous serons confrontés à un virus aussi contagieux mais bien plus létal que le Covid-19?

En 2016, les broncho-pneumopathies obstructives ont fait plus de deux millions de victimes. Cette année-là, on n’a pas arrêté l’économie de la planète pour autant.

Bien sûr, nous pourrions parler des grandes épidémies du passé, bien plus mortelles que l’épidémie actuelle, avec la Peste noire au XIVee siècle (40 % de la population européenne tuée!) ou la Grippe espagnole de 1918-1919 (50 millions de morts), mais rappelons juste qu’en 1969, alors que nous étions déjà un pays moderne, la grippe de Hongkong a fait un million de morts dans le monde, dont 35.000 en France. Pourtant, aucune mesure particulière n’avait été prise et la société n’en a gardé aucun traumatisme.

Selon l’OMS, en 2016, les broncho-pneumopathies obstructives ont fait plus de deux millions de victimes. Cette année-là, on n’a pas arrêté l’économie de la planète pour autant.

En Chine, la pollution deux millions de personnes par an. Cela veut dire que le nombre de morts causé par la pollution en Chine sera plus important que le nombre de victimes dues au Covid-19 non seulement en Chine, mais même dans le monde entier. Même chiffre en Inde. Si nous regardons les épidémies actuelles, nous voyons que deux millions de gens sont rongés vivants et mutilés par la lèpre (avec 200.000 nouvelles contaminations par an). 200 millions de gens souffrent du paludisme, maladie qui tue 500.000 victimes par an. Pourtant, ces pathologies bien plus dangereuses ne mettent pas le monde à l’arrêt, car comme elles sont connues de longue date, elles ne provoquent plus aucune hystérie. C’est la nouveauté du virus qui nous terrorise.

En 2020, les causes principales de la mortalité vont rester les mêmes que les années précédentes: cancers (neuf millions de morts par an), faim (9 millions de morts par an, il suffit donc de 40 jours à la faim pour tuer autant que le Covid depuis son apparition), pollution, broncho-pneumopathies (3,5 millions), infections respiratoires hors-Covid (2,5 millions, dont 600.000 pour la grippe), tuberculose (un million), paludisme, SIDA, hépatites, accidents de la route, guerres...Les vrais tueurs de masse du XXIe siècle en Occident ne sont pas le Covid-19. Ils ont pour nom: drogues, acides gras saturés, sel, sucre, surconsommation de médicaments, tabac (qui fait 75 000 morts en France chaque année)...Ce sont eux qui tuent le plus. C’est sur eux que nous devrons faire porter sur la durée nos politiques de santé publique.

En France (...) il n’est finalement pas mort plus de gens du 1er janvier au 30 septembre 2020 qu’en 2019 sur la même période

Comme le Covid tue surtout des personnes avec une espérance de vie déjà basse, il n’a pas pour l’instant provoqué de surmortalité. Dans notre livre, je cite l’exemple d’un médecin qui a intubé un homme atteint d’un cancer en phase terminale et qui ne pesait plus que 37 kg...mais comme ce malheureux patient était aussi positif au Covid, il a été compté comme mort du Covid. En France, malgré la première vague et un pic de mortalité en avril, il n’est finalement pas mort plus de gens du 1er janvier au 30 septembre 2020 qu’en 2019 sur la même période. La Suisse a même connu en 2020 moins de décès au premier semestre 2020 qu’en 2019. Nous sommes donc en pleine surréaction contre-productive.

Cette surréaction confine même parfois au délire. En Inde, des agressions contre le personnel soignant (suspecté d’être contaminé) ont eu lieu. Des infirmiers et des médecins ont été attaqués dans la rue ou expulsés de chez eux par leurs propriétaires ou leurs voisins. Le problème est tel que le premier ministre, Narendra Modi, a condamné ces actes publiquement et menacé leurs auteurs de poursuites judiciaires. En Italie, une jeune femme médecin a été tuée par son compagnon, qui l’accusait (à tort) de lui avoir transmis le virus. Au Canada, pays où la police peut débarquer chez vous pour vérifier que vous ne recevez pas des amis, Theresa Tam, responsable de la santé publique, a préconisé de porter le masque durant les rapports sexuels.

Ne prenons pas ces manifestations à la légère: la psychose tue. Souvenons-nous de ces drames courants qui surviennent régulièrement dans certains stades ou boîtes de nuit: un incendie se déclare, les gens fuient dans la panique, l’incendie ne tue personne mais la bousculade due à la panique, elle, fait plusieurs morts. Si tout le monde était sorti dans le calme, tout se serait bien passé. Souvenons-nous aussi de la défaite de 1940 et de l’Exode. Nous n’avions perdu que 2 % de nos soldats. Nos pertes n’étaient pas plus élevées que celles des Allemands et nous pouvions poursuivre la lutte.

Pourtant, nous avons été saisis par la «froide déesse» de la peur, pour reprendre l’expression de Joseph de Maistre. Totalement désorganisés, nous avons abandonné le combat et la population s’est enfuie sur les routes dans une pagaille généralisée qui a causé la mort de 100.000 civils! Au contraire, à Dunkerque, l’évacuation miraculeuse des troupes britanniques et françaises, au milieu des bombes allemandes, n’a été possible que parce que les hommes se sont montrés disciplinés et n’ont pas cédé à la panique. Étant aujourd’hui dans une situation infiniment moins grave que la leur, nous devrions, nous aussi, pouvoir garder notre calme.

Les médias ont eu, selon vous, une large responsabilité dans cette psychose...

L’Histoire est riche en psychoses collectives, mais c’est la première fois - à cause d’Internet et des médias - qu’une psychose gagne le monde entier ou presque. Pour expliquer cette psychose ambiante, nous avons développé un modèle explicatif: le triptyque médiatisation - émotion -mimétisme.

Les médias renforcent la psychose ambiante. Ils ont repris sans précaution les modélisations statistiques apocalyptiques de l’Imperial College de Londres, qui prédisaient 500.000 morts à la France si elle ne confinait pas. Or, les mêmes statistiques annonçaient 70.000 morts à la Suède sans confinement. La Suède n’a pas confiné. Bilan? 5997 morts. 11 fois moins qu’annoncé. En termes de nombre de morts par habitant, c’est à peine plus que la France. Et c’est beaucoup moins que des pays qui ont pourtant lourdement confiné comme la Belgique, l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.

Chez les plus de 90 ans, c’est-à-dire chez les plus vulnérables, la mortalité du virus est de 20 %

De même, les médias alimentent la psychose en nous donnant chaque jour le nombre de morts du Covid (même à l’été quand ce chiffre était fort bas). Pourquoi ne le font-ils pas aussi pour la grippe (entre 5000 et 15.000 morts par an en France, avec un pic à 21.000 en 2017), les cancers, les accidents de la route ou les suicides? Ils nourrissent aussi la psychose en parlant sans cesse de quelques rares jeunes qui sont morts du covid-19. Mais les cas sont extrêmement rares et, quoique tragiques, restent insignifiants sur le plan statistique. D’ailleurs, chaque année, en France, quelques enfants et adolescents meurent de la rougeole, de la varicelle ou de la grippe (dont un nourrisson en janvier 2020 à Pontarlier).

Comme disait Lénine, «les faits sont têtus». La moyenne d’âge des patients décédés avec le Covid-19 est de 81 ans en France. Cette moyenne d’âge correspond à celle de l’espérance de vie! Dans le cas du Luxembourg, elle est même supérieure de 4 ans à celle de l’espérance de vie (86 ans de moyenne d’âge pour les victimes du Covid alors que l’espérance de vie luxembourgeoise est de 82 ans). En France, un tiers des décès a eu lieu dans les Ehpad, 80 % des victimes avaient plus de 75 ans, 93 % plus de 65 ans. Les deux tiers souffraient d’une comorbidité.

Seuls 2 % des patients décédés étaient âgés de moins de 60 ans et sans comorbidité connue (mais peut-être certains avaient-ils des comorbidités cachées). Même chez les personnes âgées, les taux de survie restent bons. Chez les plus de 90 ans, c’est-à-dire chez les plus vulnérables, la mortalité du virus est de 20 %. Ce qui signifie qu’un nonagénaire infecté a tout de même 80 % de chances de survie. À cela, il faut ajouter le critère du surpoids: 83 % des patients Covid en réanimation sont en surpoids.

Beaucoup de ces jeunes victimes du Covid-19 souffraient d’autres pathologies. On a par exemple beaucoup parlé de la mort d’un adolescent portugais. Mais après examen, on a découvert que, même s’il avait bien été atteint par le Covid, il souffrait d’un psoriasis qui avait affaibli son système immunitaire et que surtout il avait aussi une méningite, maladie qui soit fut la vraie cause de sa mort soit qui amplifia considérablement les effets du Covid. On nous a aussi parlé de la mort d’un adolescent guyanais de 14 ans. Certes, le pauvre jeune homme était positif au Covid, mais il était surtout atteint de la fièvre jaune, une maladie tropicale très grave, qui a une mortalité de plus de 30 % et qui fut la vraie raison de sa mort.

La BBC alimente la psychose collective en faisant passer un message subliminal : les enfants meurent aussi du Covid-19 ! Or la réalité statistique est tout le contraire

De même, sur son site, la BBC a consacré un article entier à la mort d’une petite fille de 5 ans. Au détour de l’article et sans insister sur cette information pourtant capitale, le média de référence britannique nous dit allusivement que la petite fille souffrait d’une autre pathologie, sans préciser laquelle. La mort d’un enfant est toujours un scandale. C’est injuste et horrible. Tout doit être fait pour empêcher que cela ne se produise. Mais ce sont des choses qui arrivent. Six millions d’enfants de moins de 15 ans meurent chaque année dans le monde. Un enfant meurt toutes les deux minutes du paludisme, soit 260.000 par an.

Tout en étant factuel, l’article de la BBC alimente la psychose collective en faisant passer un message subliminal: les enfants meurent aussi du Covid-19! Or la réalité statistique est tout le contraire: le virus est quasiment inoffensif pour les enfants et les adolescents. 0,4 % des victimes ont moins de 45 ans. Sur 39.000 morts en France, 28 ont moins de 30 ans. Et les rares fois où il tue des enfants, ceux-ci sont très souvent atteints par ailleurs d’une pathologie lourde. Plus tard, il faudra que les sociologues analysent soigneusement le rôle qu’ont joué les médias dans l’émergence d’une psychose mondiale face à une maladie peu létale.

La vie humaine a une valeur inestimable. Quel que soit son âge, toute personne doit être soignée et sauvée si cela est possible. Il est hors de question de laisser qui que ce soit mourir d’asphyxie alors que nous serions en mesure de l’empêcher. Mais mettre davantage en avant ces statistiques aurait trois avantages: réduire la psychose, mieux protéger les personnes à risque, laissez vaquer à leurs occupations habituelles tous ceux qui ne risquent rien.

Nous ne pouvons pas mettre tout un pays à l’arrêt et détruire notre économie pour un virus à la létalité aussi faible et qui tue un public aussi âgé et aussi ciblé. Nous devons maintenant utiliser d’autres méthodes pour protéger les personnes à risque.

Êtes-vous surpris par le consentement de la population française à ces mesures? Où sont passés les Gaulois réfractaires?

La population fait preuve d’un admirable civisme, même si ce second confinement est déjà beaucoup moins bien accepté que le premier. Mais le Gaulois réfractaire est une bombe à retardement.

Plus le confinement sera long, plus le risque de troubles sociaux violents est important. Déconfinons de toute urgence!

 

Julia de Funès: La lutte contre le Covid a déchaîné la pulsion légalomaniaque française

TRIBUNE - La philosophe et essayiste dépeint la passion française pour la norme bureaucratique, qui s’exprime sans aucun frein pendant ce confinement et entrave gravement le pays.


Docteur en philosophie et diplômée d’un DESS en ressources humaines, Julia de Funès a publié «Socrate au pays des process» (Flammarion, 2017) et «Développement (im)personnel, le succès d’une imposture» (Éditions de l’Observatoire, 2019).


Cette année nous aura particulièrement montré à quel point l’administration de notre pays, elle aussi, tue. Tue l’intelligence humaine, tue l’ambition de notre pays, tue notre pouvoir d’agir, tout en permettant aux deux fléaux meurtriers les plus actuels de prospérer. L’islamisme radical est à combattre dans un cadre constitutionnel empêchant d’y mettre efficacement fin. Un virus est à endiguer mais des procédures trop longues le laissent se propager durant des mois. La bureaucratie mêlée à la légalomanie paralyse notre pays assujetti à ses normes et à ses lois davantage qu’elles ne le renforcent et qu’elles n’autonomisent la société civile.

L’obsession législative s’inquiète que nos moindres gestes ne soient prévus quelque part, dans un alinéa, une jurisprudence, un décret, une commission, une mise à l’étude, un projet de loi, une élaboration, une proposition, une décision, un appendice! Ce syndrome maniaco-procédurier, cette pulsion légalomaniaque sont amplifiés par la victimisation galopante exigeant la pénalisation de tout ce qui la menace afin de calmer le sentiment de persécution dont elle se dit la proie. Lorsque des individus n’ont plus d’autre solution pour se sentir être que de se condenser dans des groupes identitaires, et trouvent un semblant de vie à travers un légalisme punitif qu’ils ne cessent de réclamer, un mot juste devient une insulte, une critique un amalgame, une offense un préjudice.

La bureaucratie s’occupe davantage des normes que des lois. Elle vise à purger l’homme de l’humain, à remplacer le vivant parfois incontrôlable par de la sécurisation programmée dans toutes les sphères possibles: protocole médical, sanitaire, sécuritaire, procédures administratives, etc. Ces protocoles n’ont rien de légal ou d’illégal, tout en étant obligatoires.

Notre trop plein administratif a peur du vide normatif, cette zone grise et floue qui risquerait de laisser passer encore un peu d’inorganisation, de hasard, et finalement de vie dans nos comportements

Le but est un contrôle des comportements et un fonctionnement sans hasard des esprits. Si gagner en temps et en organisation est le prétexte invoqué de la bureaucratisation, l’effet s’avère souvent inverse à ces ambitions: perte de temps considérable, organisation désastreuse, automatismes débilitants qui transforment les esprits en ectoplasmes et les poussent à se satisfaire d’une situation dans laquelle ils n’ont pas à prendre de risque. À croire que les routes seront peu à peu plus fréquentables sans voiture, la plage sans la mer, la mer sans les vagues, les causes sans conséquences.

Notre trop-plein administratif a peur du vide normatif, cette zone grise et floue qui risquerait de laisser passer encore un peu d’inorganisation, de hasard, et finalement de vie dans nos comportements. Ce grand cirque précautionniste déambule sous les acclamations de cervelles fébriles mais satisfaites de leur bonne conscience, légitimant les ingérences de ces normes au nom de la sécurité et de la précaution. Aussi, l’hyperlégislation et l’inflation bureaucratique sont des pathologies sournoises car elles s’appliquent au nom du bien. Le mal qui leur est lié perd l’attribut par lequel on le reconnaît généralement, celui de la transgression. L’esprit borné reste englué dans ses manières de faire, dans ses mécanismes, dans ses automatismes ritualisés au point de juger qu’ils sont les seuls possibles et légitimes.

Leurs effets secondaires sont pourtant redoutables. Une restriction de liberté démocratique au nom d’un légalisme égalitariste victimaire. Une carence d’intelligence, dont seul le discernement permet de jouer avec les aléas, les contingences, et de comprendre qu’il y a parfois moins de risque à en prendre un qu’à ne pas en prendre du tout. Une perte d’autonomie et de pouvoir d’action, grâce auxquels nous sommes des personnes, des adultes, des êtres responsables, des sujets, et notre pays une nation plus active que réactive, plus entrepreneuse que peureuse.

Sortir de ce formol bureaucratique ne signifie pas remettre en cause systématiquement et bêtement les règlements. C’est penser ce que l’on est censé (faire) appliquer et n’agir que si l’action fait sens.

On s’inquiète de l’intelligence artificielle qui rivaliserait avec l’intelligence humaine. Plus inquiétante encore est l’intelligence humaine qui s’artificialise très vite dès lors qu’elle applique pour appliquer, en faisant des procédures le sommet des priorités au détriment du sens et de l’urgence des situations.

 

https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/donnees-hospitalieres-relatives-a-lepidemie-de-covid-19/

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